"TU ES PIERRE... "
I/ La promesse de Jésus à Pierre
II/ L'exégèse spiritualiste
III/ L'exégèse épiscopale
IV/ Interprétation romaine
Conclusion
Leçon douverture donnée en Faculté de Théologie de Paris le 5 novembre 1958.
Le texte présenté ici a plus de 40 ans mais reste d'une pertinence étonnante
La promesse de Jésus à Pierre
"Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de lHadès ne prévaudront point contre elle ; je te donnerai les clés du Royaume des cieux, etc..."
que nous lisons dans Matth. 16:18-19, est le fondement dune partie essentielle de la doctrine de lEglise catholique, à savoir celle qui établit lautorité du pape considéré comme le successeur de saint Pierre et chef de lEglise chrétienne.
La théologie catholique actuelle exprime sur ce point une doctrine fort simple dans ses grandes lignes: Jésus a fait de lapôtre Pierre le fondement de son Eglise; cette promesse est valable pour lapôtre et pour ses successeurs, et ses successeurs ne sauraient être que les évêques du siège apostolique de Rome, où saint Pierre, non seulement séjourna comme chef de la communauté, mais aussi où il périt martyr et fut inhumé.
En face de cette thèse si fortement soutenue chez les catholiques, lexégèse et la dogmatique protestantes ont apporté diverses interprétations de la parole évangélique. La plus radicale a consisté à déclarer le passage de Matth. interpolé, cest-à-dire une création de lEglise à un stade déjà avancé de son évolution, introduite frauduleusement dans le texte évangélique pour soutenir la prétention romaine; cette solution, toute gratuite, ne repose, en somme, que sur un postulat tendancieux; assez populaire à un moment donné, elle est maintenant généralement écartée. Dans cette Faculté, à plusieurs reprises, nos maîtres en science du Nouveau Testament ont prouvé quil nétait plus possible de se servir purement et simplement de largument de linauthenticité. ...
Errata: Une partie de cette article est manquante, soit les pages 16 et 17. Mais le contenu de celui-ci est tellement approprié, cohérent et précis qu'il nous semble nécessaire de vous le faire connaître en l'état.
le Livre des Actes (ch. 5), et celui de lincestueux de Corinthe (1 Cor. 5) nous montrent que ce problème était déjà posé au lendemain de la résurrection de Jésus. A lépoque des apôtres la solution était relativement simple du fait que le rôle darbitre leur revenait de droit. Le Christ avait donné à Pierre (selon notre péricope), ainsi quà tous les apôtres (selon Matth. 18: 18 et Jn. 20: 23), le pouvoir de lier et de délier; le Saint-Esprit ne cessant de les inspirer, ils ont exercé ce pouvoir pénitentiaire leur vie durant et partout où ils étaient en mesure dagir. Mais quand les envoyés désignés par le Christ nont plus été présents, le problème de conscience est demeuré; je dirai plus: ce problème devait nécessairement demeurer et devait nécessairement être résolu; car lEglise ne peut vivre sans que soit exercé le pouvoir de la pénitence.
Quelles sont, dans lEglise, les règles à observer pour que les pécheurs obtiennent le pardon et surtout qui dans lEglise est au bénéfice de lautorité que Jésus-Christ avait conférée à Pierre et aux autres apôtres dans le domaine de la pénitence ? Cest sous cet angle que sest posée dabord la question de linterprétation et de lapplication de la promesse des clés qui ouvrent aux âmes repentantes les portes du Royaume des cieux. Nous ne craignons pas dexprimer la question que se posait lEglise ancienne, sous cette forme: Qui, au sein de lEglise, est, afin que les péchés soient pardonnés, le successeur de Pierre et des autres apôtres?
Suivant les temps et les circonstances trois réponses ont été données dans lEglise des premiers siècles:
L'exégèse spiritualiste
1) Nous pouvons parler dabord dune exégèse spiritualiste. Se refusant à faire une distinction nette entre la promesse du Christ à tous les apôtres, et celle, formulée en termes semblables, à Pierre seul, certains chrétiens ont estimé, dune part, que le pouvoir des clés était normalement valable pour tous les apôtres de par la volonté du Christ dautre part, ce qui nous intéresse ici très particulièrement, que ce pouvoir de lier et de délier était transmis à tout chrétien véritable, à tout fidèle inspiré par le Saint-Esprit.
Cette interprétation «spiritualiste» est soutenue pour la première fois, à notre connaissance, dans la lettre des chrétiens de Lyon, écrite au lendemain de la persécution qui avait eu lieu dans leur cité en 177 (Eus. HE, V, 2, 5); il sagit des martyrs; ceux-ci, est-il écrit, alors quils attendaient la mort en prison, «défendaient tout le monde et naccusaient personne; ils déliaient tout le monde et ne liaient personne». Cest bien du pouvoir des clés quil est question; nous voyons ici que ce sont les confesseurs qui lexercent.
A une époque où lEglise chrétienne se trouvait sans cesse en butte aux épreuves de la persécution, on reconnaissait donc à ceux qui étaient demeurés fermes dans la tourmente, qui avaient confessé le Seigneur devant les païens, et qui dans leur cachot, attendaient sans faiblir le moment de leur trépas, le pouvoir daccorder, sous certaines conditions au moins, le pardon à ceux de leurs frères qui, après avoir commis une faute grave, sollicitaient leur absolution. Ce droit, reconnu aux confesseurs, a pénétré, nous le savons, très profondément dans la tradition de lEglise persécutée.
Quelque temps après la persécution de Lyon, Tertullien exprime le même sentiment et ses allusions au « Tu es Petrus » sont dune grande précision. Dans son Scorpiace, il attaque les adversaires du martyre, ceux qui minimisent la confession et la jugent même inutile; il écrit (ch. 10) « Souviens-toi que le Seigneur a laissé les clés du ciel à Pierre et par lui à lEglise chacun de ceux qui sont interrogés et qui le confessent les porte avec soi », cest-à-dire: ce sont les confesseurs qui détiennent les clés. Ainsi le pouvoir des clés, qui a été attribué à Pierre, lest maintenant à lEglise, non lEglise tout entière, mais les confesseurs dans lEglise.
Pourquoi les confesseurs possèdent-ils ce droit de lier et de délier ? Sont-ce le courage et la foi dont ils font preuve en acceptant de souffrir et de mourir pour le Seigneur, qui les mettent au-dessus du commun des fidèles ? Non, la raison doit être cherchée ailleurs. Le confesseur, aussi haut que lon puisse remonter, est considéré comme un inspiré, un homme de lEsprit; il a reçu, comme le prophète, vocation de Dieu pour le témoignage et il possède les dons spirituels particuliers au prophète. Le prototype du confesseur chrétien est Etienne, à la fois prophète et martyr; il prêche, rapporte le Livre des Actes (6, 5, 8,10), sous linspiration du Saint-Esprit; son visage est transfiguré lorsquil parle (6, 15) et ce prophète authentique périt comme doit périr tout homme de Dieu selon la parole de Jésus «Ils ont persécuté les prophètes avant vous » (Matth. 5:11-12); « rempli du Saint-Esprit », il voit les cieux ouverts et le Fils de lHomme, debout, prêt à accueillir son témoin (Act. 7: 55-56). Le confesseur est le successeur des prophètes anciens; nous pouvons saisir alors pourquoi il lui est reconnu des droits si étendus dans la communauté de lEglise et, en particulier, celui de pardonner les péchés.
Tertullien, qui a écrit que le pouvoir des clés passe de saint Pierre aux confesseurs, dit ailleurs dans le même sens:
« Cest lEglise qui remet les péchés, c'est-à-dire lEglise-Esprit par lintermédiaire dun homme spirituel » (per spiritualem hominem) (De pud. 21, 17),
ce qui veut dire un prophète. Si le confesseur intervient dans le pardon c'est donc en vertu de son caractère de prophète.
Dans le De pudicitia, composé alors quil était devenu montaniste, Tertullien donne une exégèse assez complète du passage sur le « Tu es Petrus » (ch. 21). Il écrit dabord (§ 9-10) que la promesse des clés a été accordée, dans le cercle apostolique, à Pierre seul, à Pierre « personnellement » (personnaliter). Le Seigneur lui a dit formellement (au dire de Tertullien):
«Cest sur toi que je bâtirai mon Eglise.»
Et le docteur africain poursuit en montrant comment Pierre a effectivement tenu en main les clés de lEglise (§ 11-15). Mais, avec Tertullien, il faut toujours se garder disoler telle formule quil emploie souvent plus comme une boutade que comme lexpression de ses réflexions. En effet, ici il ne veut pas faire entendre que la personne historique de Pierre est seule en cause et que la promesse ne serait point aussi pour des successeurs éventuels; nous navons quà lire plus loin dans le même chapitre (§ 16-17), et nous constatons que pour lui le droit de lier et de délier est normalement accordé à lensemble de lEglise, mais, précise-t-il, à lEglise des spirituels, cest-à-dire, en langage clair, à lEglise montaniste, à laquelle il appartient et qui prétendait faire revivre le prophétisme authentique. «Après Pierre cette puissance appartient aux spirituels, à lapôtre ou au prophète; car lEglise est proprement et essentiellement lEsprit lui-même.» (§ 16). Ce droit ne revient pas à lEglise des «psychiques», à savoir lEglise catholique, que Tertullien nomme péjorativement numerus episcoporum (= collection dévêques) (§ 17), mais à lEglise des spirituels.
Par la voix de Tertullien, le montanisme se range, et cela ne nous étonne nullement , dans la ligne de lexégèse spiritualiste du «Tu es Petrus». Tout chrétien spirituel, nous pourrions dire en langage plus moderne, sans en fausser trop le sens, tout chrétien militant ou professant a le droit dexercer le pouvoir des clés à légard de ses frères dans la foi.
Plus spiritualiste encore, si lon peut dire, est Origène dont nous avons, dans son Commentaire de lEv. de Matthieu, lexégèse de notre péricope (Comm. in Matth. 12:10-11, PG 13, 996-1004). Et cette exégèse, il faut sy attendre avec le docteur alexandrin , fait état de la distinction à établir entre le sens littéral et le sens spirituel; par la lettre, lévangéliste rapporte une conversation entre le Christ et son apôtre, ainsi que la promesse faite au seul Pierre; mais par lEsprit, nous devons comprendre quici Pierre «figure» tous les disciples. Il écrit: «La pierre (sur laquelle repose lEglise), cest tout disciple du Christ» (pétra gar pâs o Christou mathétés). Précisons quil sagit, dans la pensée du docteur égyptien, non de tout membre de lEglise visible, mais de tout chrétien «parfait», cest-à-dire de tous ceux qui peuvent, comme Pierre, dire: Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant, parce que cette révélation leur vient, non de la chair et du sang, mais du Saint-Esprit qui se déverse dans leur cur. La pierre sur qui lEglise est construite, cest tout chrétien qui confesse le Seigneur. Et ainsi le croyant sidentifie à Pierre: «nous devenons Pierre » (ginométha Pétros) (§ 10); «Etant les membres de la pierre, nous sommes appelés Pierres» (tés pétra mélé ontés parônumoi Petroi) (§ 11). Ainsi, pour Origène, Pierre ne représente pas seulement lensemble des apôtres qui ont reçu comme lui la victoire sur l'Hadès et les clés du Royaume, mais il est aussi le type de tout chrétien qui confesse Jésus-Christ, comme lui-même la confessé. Origène ne voit aucun inconvénient à ce que, au nom de sa vocation de chrétien, le fidèle exerce personnellement les charges apostoliques de gouvernement, denseignement et de direction spirituelle auprès de ses frères dans la foi.
L'exégèse épiscopale
A côté de linterprétation que nous avons appelée «spiritualiste», se trouve, sur une ligne parallèle, l'exégèse épiscopale, daprès laquelle on admet, dune part, que tous les apôtres se sont trouvés au bénéfice du «Tu es Petrus» et, dautre part, que ceux qu'il convient de considérer comme les successeurs de Pierre et des apôtres sont les évêques légitimes.
Il ne serai pas sans intérêt pour notre sujet de montrer avec quelques détails quelle importance a prise dans lEglise le système épiscopal; très rapidement et très généralement les évêques se sont imposés comme chefs des Eglises. A coup sûr, le climat de lutte incessante dans lequel vivait lEglise a été pour beaucoup dans cette évolution vers une centralisation, à lintérieur des communautés locales, de toutes les responsabilités et de tous les pouvoirs entre les mains dun seul homme, lévêque. Partout, au IIème siècle, l'évêque est reconnu comme le pasteur par excellence, comme le guide de la foi et le directeur de la discipline. Aussi devons-nous comprendre que, pour résoudre la grave question que nous avons signalée, posée par les demandes de réadmission dans la communauté des pécheurs repentants, la voie normale ait été: cest à lévêque de régler la pénitence, car il a reçu par sa consécration, le pouvoir de décider avec sagesse ce qui doit être lié ou délié dans lEglise. A qui reviendrait le pouvoir des clés, sinon à lévêque ?
Cette opinion, certainement fort répandue, nous la rencontrons, en particulier, chez lévêque Calliste de Rome. Malheureusement nous ne sommes renseignés sur lui quindirectement, cest-à-dire par lintermédiaire dun adversaire qui nest autre que Tertullien; ces deux personnages furent opposés sur un grand nombre de points, dont lun des plus importants était leur conception de la pénitence (nous venons de parler de lattitude spiritualiste de Tertullien). Nous pouvons cependant croyons-nous, connaître lavis de lévêque romain. Calliste, qui fut évêque de Rome entre 218 et 222, est connu par une décision quil prit à propos de discipline; il déclara quil convenait daccorder, par le moyen de la pénitence publique, le pardon à ceux qui, après le baptême, étaient tombés dans le péché dimpudicité. Tertullien, prenant la plume pour écrire le De pudicitia lui reproche avec aigreur son attitude de mansuétude qui lui parait inadmissible. La question importante pour nous est de savoir sur quelle autorité s'appuyait Calliste pour édicter une règle nouvelle. Or, le contexte de Tertullien ne permet aucun doute sur la réponse à donner: Calliste invoquait le «Tu es Petru», le pouvoir quil se reconnaît à lui-même, comme autrefois à Pierre, de lier et de délier. Mais comment interprétait-il exactement le «Tu es Petrus» ? Beaucoup dhistoriens, entraînés à juger daprès ce qui se passera plus tard, ont pensé que Calliste, étant évêque de Rome, devait nécessairement comprendre le «Tu es Petrus» comme sappliquant aux seuls évêques de Rome, en tant que successeurs de Pierre. Ce nest, en effet, point sans logique. Mais il convient de reconnaître que Tertullien ne laisse, dans son traité, rien paraître dune semblable interprétation; naurait-il pas forcément mentionné largument, pour le combattre, sil avait été émis ? En réalité, Calliste na invoqué le «Tu es Petrus» que comme argument en faveur des droits épiscopaux communs à tous les évêques. Cest parce quil est évêque tout simplement, et non parce quil est évêque de Rome, quil use du droit apostolique des clés. Cest ainsi que sexpliquent le plus correctement les textes de Tertullien; il suffit de les lire sans préjugés. Voici le passage le plus significatif: Tertullien interpelle vertement son adversaire Calliste (De pud. 21, 9): «Tu prétends que le pouvoir de lier et de délier a passé jusquà toi, cest-à-dire jusquà toute Eglise qui se rattache à Pierre (id est ad omnem ecclesiam Petri propinquam).» Ce dernier membre de phrase a provoqué des contradictions passionnées. Voici, en résumé, lavis formulé par Calliste, au dire de Tertullien: Je possède le pouvoir de lier et de délier qui a passé jusquà moi, parce que je suis évêque «dans toute Eglise qui se rattache à Pierre (ou qui est proche de Pierre) » . On comprend aisément que certains aient vu dans cette proposition une allusion directe à lEglise de Rome, Eglise qui est la plus proche de Pierre, en ce sens quelle a été fondée par lui et quelle possède son tombeau, et que, par conséquent, lévêque de cette Eglise particulière est en droit de se considérer comme lhéritier de la promesse faite à Pierre spécialement. Mais est-ce bien la pensée de Calliste ? Il y a, me semble-t-il, avant toute autre considération, une question de grammaire qui se pose il faut traduire correctement le petit mot omnis avant ecclesia; on ne peut comprendre omnis que dans le sens plural, toute Eglise, nimporte quelle Eglise, qui se rattache à Pierre; il nest pas possible de traduire grammaticalement dans le sens singulier, telle Eglise particulière 1.
Le texte de Tertullien ne peut donc que signifier, même si lon juge la formulation malhabile, «toute Eglise qui se rattache à Pierre», dans le sens de «toutes les Eglises qui se rattachent à Pierre», cest-à-dire toutes les Eglises apostoliques et catholiques, en opposition avec les Eglises hérétiques2. Calliste, en somme, ne fait quaffirmer: «Jai le pouvoir de lier et de délier parce que je suis évêque de lEglise apostolique qui se rattache à Pierre».
Il ninnova donc rien ni dans le domaine de lexégèse, ni dans celui de lexercice du pouvoir épiscopal; cest parce quil est évêque de lEglise universelle, et non parce quil est évêque de lEglise locale de Rome, quil use du pouvoir des clés et quil promulgue une nouvelle règle pénitentielle3.
Lopinion soutenue par Calliste de Rome, nous la retrouvons et cette fois clairement exprimée et fortement étayée, chez saint Cyprien de Carthage, une trentaine dannées après Calliste.
Cyprien est un défenseur convaincu des droits des évêques; chaque évêque est maître chez lui et lunité de lEglise se manifeste dans la communion entre évêques, concrètement dans les synodes où les décisions sont prises par tous les évêques ensemble. Sa conception de lunité dans le respect de lindépendance des Eglises locales, Cyprien la exprimée dans son célèbre De unitate ecclesiae catholicoe (251). Cest dans le chapitre 4 quil fait reposer les droits et les devoirs des évêques sur le «Tu es Petrus». Voici son raisonnement: l'Eglise, qui est catholique, est unie par ses évêques qui s'attachent l'un à l'autre comme par un ciment. Cette unité est l'uvre du Christ lui-même qui a fondé l'unité du collège apostolique. Dans ce collège des premiers temps, Pierre a une place d'honneur; il a reçu la promesse unique du «Tu es Petrus ». Mais il ne s'agit point pour lui d'une primauté effective; Pierre est le symbole de lunité du groupe apostolique, répondant par sa bouche et recevant les promesses en sa personne. Le Christ a voulu rendre sensible, par cette unité numérique et typique lunité morale de lEglise. «C'est sur un que le Christ édifie lEglise» (super unum aedificat ecclesiam) (texte B). Donc Pierre ne possède qu'une primauté honorifique destinée à manifester l'unité de lEglise. « Les autres apôtres étaient ce que fut Pierre, pourvus dune participation égale à lhonneur et au pouvoir (pari consortio praediti et honoris et potestatis); le commencement a sa base dans lunité, afin de souligner que lEglise du Christ est une. Ainsi les promesses faites par Jésus à saint Pierre sont, en réalité, faites à tous les apôtres, cest-à-dire actuellement à tous les évêques également4.
Le sentiment exprimé avec tant de force par saint Cyprien était celui de la majorité de lEglise de son temps; nous avons maintes preuves de lampleur que lexégèse épiscopale avait prise, mais nous devons renoncer à citer même quelques textes qui le démontreraient5.
Interprétation romaine
Cest à lépoque de saint Cyprien que nous voyons apparaître la troisième interprétation du «Tu es Petrus» dont nous voulons parler, je veux dire l'interprétation romaine. Nous sommes si familiarisés avec elle que nous avons quelque peine à penser quil fût un temps où elle était ignorée, même dans lEglise de Rome, même par les évêques romains les plus jaloux de leur autorité.
En effet, il peut être établi, croyons-nous, que cest le pape Etienne de Rome (254-257), le contemporain de saint Cyprien, mort martyr au début de la persécution de Valérien, le 2 août 257, qui le premier adopta l'exégèse du «Tu es Petrus», daprès laquelle le Christ nayant accordé le pouvoir des clés quà Pierre seul et les autres apôtres nayant point bénéficié dun honneur aussi considérable, seuls les évêques du siège épiscopal Romain ont le droit de se considérer comme les successeurs du prince des apôtres, puisque cest à Rome saint Pierre a séjourné et est mort martyr et que lon y vénère sa tombe.
Si les évêques de Rome ont, à maintes reprises avant le milieu du IIIème siècle, été lobjet dun respect particulier et sils ont élevé la prétention détendre leur juridiction au-delà de leur siège local (comme Victor à la fin du IIème siècle, par exemple), jamais, à notre connaissance, ils ne sétaient appuyés, pour justifier leur attitude, sur la promesse évangélique du «Tu es Petrus». Etienne le premier sy est référé.
Nous le savons, bien que, comme ce fut le cas pour Calliste, nous ne possédons aucun texte provenant directement de ce pape, mais seulement des rapports faits sur lui par ses contradicteurs, au premier rang desquels se place saint Cyprien, qui le combattit sur la question du baptême à administrer aux hérétiques. Nous pouvons quand même arriver à une réelle certitude.
Voici en quels termes sexprime sur son compte Cyprien dans lEp. 71, 3, 1; se plaignant de lintransigeance de son collègue Etienne, il invoque le cas du désaccord survenu jadis entre les apôtres Pierre et Paul; il écrit que Pierre, lui au moins, « ne montra pas darrogance ou de prétention insolente, au point de dire quil avait la primauté et que les nouveaux venus ou les moins anciens devaient plutôt lui obéir (ut diceret se primatum tenere et obtemperari a novellis et posteris sibi potius oportere)». Il sagit certainement ici dune citation que Cyprien fait dune affirmation dEtienne; celui-ci disait donc quil «avait la primauté» et il lappuyait sur lautorité de Pierre tenant tête à Paul.
Cette prétention est également attestée par Firmilien de Césarée; Etienne, dit cet autre évêque, «est très fier de son siège épiscopal et revendique lhonneur de la succession de Pierre sur qui ont été établis les fondements de lEglise (de episcopatus sui loco gloriatur et se successionem Petri tenere contendit, super quem fundamenta ecclesiae collocata sunt)» (dans Cyprien Ep. 75, 17, 1).
Disons encore que, lorsque le synode africain de septembre 256 envoya à Rome une lettre de protestation contre la doctrine soutenue par le pape au sujet du baptême, Cyprien, rédacteur de la lettre, évite de nommer personnellement Etienne auquel il sadresse; il mentionne seulement celui qui a eu laudace de sintituler Episcopus episcoporum (Sent. episc.), ce qui donne à penser que, dans lun au moins de ses messages précédents, Etienne sétait attribué ce titre.
Nous arrivons à cette conclusion que le pape Etienne a affirmé les droits des évêques de Rome sur les autres évêques, non comme émanant dune autorité de fait, mais en droit, nom du «Tu es Petrus».
Nous avons suivi les trois lignes dinterprétation qui ont vu le jour au cours des trois premiers siècles pour donner une explication du «Tu es Petrus».
Quen est-il advenu dans la suite?
Disons dabord que lexégèse romaine, soutenue par Etienne de Rome, est restée dans lombre pendant longtemps. Aucun texte, en effet, ne peut être avancé dans ce sens durant de longues années aprés le pape Etienne, ce qui montre que même les évêques de Rome n'ont pas persévéré dans le chemin ouvert par le pape du IIIème siècle. Il est vrai que les papes du IVème siècle nont pas brillé dun éclat particulièrement vif et que pendant ce temps leur autorité de fait ne sest pas accrue. Le silence exégétique dont nous parlons nen est pas moins très significatif.
Il faut attendre le pape Léon le Grand, au milieu du Vème siècle pour voir la réapparition de largument tiré du «Tu es Petrus» en faveur dune primauté romaine. Léon Ier (440-61) est le pape qui a tenu tète à Attila, qui a victorieusement soutenu son autorité contre les évêques gaulois, qui a fait triompher sa théologie au concile de Chalcédoine; cest une homme courageux, entreprenant et autoritaire. Comment a-t-il parlé du «Tu es Petrus» ? Il y fait allusion à plusieurs reprises dans ses sermons parvenus jusquà nous. Léon est fier dêtre lhéritier de saint Pierre dans la ville où il a subi le martyre; il est heureux de posséder à Rome le tombeau inviolé du saint apôtre; cette présence, proclame-t-il, assure la grandeur de Rome plus que les souvenirs, si glorieux soient-ils, de la Rome antique (Sermo 82, 1. 3). Cependant il va plus loin que ces considérations générales; il sappuie directement, pour soutenir son prestige de pape de lEglise, sur les promesses faites à Pierre:
«Le bienheureux Pierre persévère dans la dignité de la pierre, (dignité) quil a reçue; et il nabandonne pas (sous-entendu par ses successeurs) le gouvernement de lEglise qui lui fut mis en main... Cest avec plus de plénitude et de puissance quil poursuit (maintenant) la mission qui lui a été confiée»6.
Et il dit ailleurs:
«Le Christ qui est une pierre, a donné à Pierre, devenu pierre à son tour, une solidité que celui-ci passe à ses héritiers»7.
Mais il nous faut noter en plus que cette succession venant de saint Pierre, que Léon de Rome revendique pour lui d'une manière particulière, ne lempêche pas de dire aussi que tous les évêques sont égaux entre eux, parce que tous enfantés par la grâce (Sermo 3, 2), et, plus précisément, que tous les apôtres sont, en somme, au bénéfice de la promesse faite à Pierre dans le «Tu es Petrus»; Léon cite la péricope évangélique sous cette forme:
«Les portes de lenfer ne prévaudront point contre cette confession (que vient de prononcer Pierre)... Cest pourquoi il est dit au bienheureux Pierre: Je te donnerai les clés du Royaume des cieux... Le droit que donne cette puissance est passé, en vérité, aussi aux autres apôtres et la règle apportée par ce décret est transférée à tous les chefs de l'Eglise»8.
Cette dernière affirmation prend sa place dans la ligne de la tradition ancienne et pourrait être signée de Cyprien lui-même.
Reconnaissons, en somme, que la pensée de Léon le Grand manque de précision. Ce qui est remarquable, cest que ce grand pape, qui passe à juste titre pour un des plus fermes défenseurs de la primauté de fait du siège romain, nabandonne pas complètement la doctrine selon laquelle tous les évêques sont, au nom du «Tu es Petrus», sur le même pied que celui de Rome.9
Au milieu du Vème siècle, linterprétation du «Tu es Petrus» en faveur du seul évêque romain est donc encore loin dêtre admise sans réserve, même dans lesprit des pontifes romains.
Il faut descendre plus bas dans le temps pour constater que la théorie exégétique proromaine prend une consistance plus ferme, puis finit par simposer.
Le pape Gélase, à la fin du Vème siècle (492-96), affirme, et cette fois sans hésitation, dans ses Décrets, en indiquant lordre de préséance des principaux sièges ecclésiastiques, que lévêque de Rome doit venir en tête en vertu de la promesse incluse dans le «Tu es Petrus».
Et Hormisdas (514-23), quelques années plus tard, auteur dune Formule, relative aux droits judiriques des Eglises et qui eut sa célébrité (datée de 515), écrit que lautorité du Saint-Siège romain est suffisamment établie par le «Tu es Petrus».
Nous navons plus besoin de prolonger lénumération. A partir du temps où nous sommes arrivés, les évêques de Rome se sont de plus en plus abondamment servis de la promesse faite à Pierre pour justifier leurs prétentions grandissantes à la direction du monde.
Au moment où lexégèse romaine ne faisait que de très lents progrès, quen était-il des deux autres courants de pensée dont nous avons parlé ?
Dune manière générale, nous pouvons dire que les deux lignes se sont rapprochées jusquà se confondre parfois. Le spiritualisme intransigeant nest point demeuré tel quel; cependant il ne disparaît pas et la conception ecclésiastique qui provient de lui sexprime dans la notion sans cesse reprise de lEglise corps du Christ, dont tous les membres, à égalité, prennent vie de la tête. Dun autre côté, lépiscopalisme dun saint Cyprien na pas toujours été exprimé avec la même dureté, et, contrairement à ce que lon pourrait croire en envisageant trop vite les causes de la déviation de lEglise ancienne, le cléricalisme des Pères du IV et du Vème siècles a été souvent mitigé de mysticisme. Les deux lignes se rapprochent donc, tout en demeurant vivantes lune et lautre. Et lun des points essentiels quelles ont de commun, cest quelles demeurent résolument en dehors du plan dans lequel les papes vont chercher à entraîner lEglise.
Le thème qui rallie alors la majorité des suffrages pour linterprétation du «Tu es Petrus» est, avec un certain nombre de variantes, le suivant: Jésus-Christ a fait à Pierre une promesse solennelle; la base de cette promesse est «la pierre» sur laquelle lEglise est fondée; cette pierre est, dit-on généralement, la confession que Pierre vient de faire; cette interprétation peut être conçue de façons différentes ou bien la pierre représente la foi qui vient dêtre exprimée et qui doit demeurer la foi de lEglise, telle est lopinion de Jean Chrysostome10; ou bien elle est à identifier avec le Christ lui-même, en vertu de 1 Cor. 10: 4, sur la «pierre spirituelle» qui suivait Israël dans le désert et qui est le Christ, et ainsi elle désigne Jésus-Christ qui a inspiré la foi à son apôtre, tel est le sentiment de saint Augustin14.
Ces deux variantes11 sont-elles très distantes lune de lautre ? Nous ne le pensons pas; car il sagit dans les deux cas de la foi, qui est dabord inspirée par le Christ au croyant, et qui, dautre part, a le Christ pour objet.
La promesse qui suit la mention de la pierre, cest-à-dire la promesse des clés, ne peut, dans la logique des interprétations que nous venons de mentionner, que viser la pierre elle-même sur qui est fondée lEglise et contre qui les portes de lHadès ne prévaudront point. Le pouvoir des clés revient donc normalement aux chrétiens fidèles, à ceux qui sont en possession de la foi et s'en constituent les garants et qui sont prêts à confesser le Seigneur comme Pierre l'avait confessé, et cela vise pratiquement aussi bien les chefs légitimes et les responsables de l'Eglise que les simples croyants, responsables eux aussi de la vie de l'Eglise, sans que l'on puisse établir une opposition entre ces deux catégories.
Pour ne point citer ici des textes trop nombreux, exposons brièvement lenseignement de saint Augustin qui représente certainement fort bien lopinion dominante, à lépoque où lessor théologique de lEglise a été le plus puissant.
Cest dune manière constante que saint Augustin traduit le début de la péricope ainsi: .
« Tu es Pierre et sur cette pierre (que je suis, moi, Jésus), je bâtirai mon Eglise12.»
Poursuivant son interprétation, il comprend ensuite le pouvoir accordé à lapôtre Pierre, comme étant valable pour toute l'Eglise: «Pierre na pas mérité, seul entre les apôtres, de paître les brebis du Seigneur; mais quand le Christ parle à un seul, lunité est recommandée (non.., inter discipulos solus meruit pascere dominicas oves; sed quando Christus ad unum loquitur, unitas commendatur).» (Sermo 295, 4.). Et ceci, plus précis encore «Ces clés, le Christ les a données à son Eglise (has claves dedit ecclesiae suae).» Ce qui veut dire, poursuit Augustin, que quiconque «croirait à la rémission des péchés et sen détournerait, aurait place au sein de cette Eglise et serait guéri par la foi. » (De doctr. christ. 1, 17). Il est aisé de constater comment sur ce point saint Augustin a suivi la ligne tracée par son compatriote saint Cyprien.14
Lévêque dHippone insiste avec force sur lunité de lEglise; le schisme est, à ses yeux, le plus grand des péchés; lunité, quil exalte surtout dans la période où il lutte avec acharnement contre les donatistes, repose sur lensemble des sièges apostoliques, fondés chacun sur lensemble du collège des apôtres et représentés chacun, dans lEglise post-apostolique, par lensemble des évêques.
Augustin cependant va plus loin que saint Cyprien, en ce sens quil présente une doctrine plus spiritualiste et moins cléricale de cette Eglise une. Pierre nest pas seulement pour lui le type de lévêque, mais de lensemble de l'Eglise, pasteurs et fidèles conjointement, cest-à-dire de tous ceux qui, quelle que soit leur responsabilité dans lEglise, confessent Jésus-Christ comme Pierre lavait confessé (Sermo 149, 6, 7; 295, 2, 2, etc.); cette Eglise étant le corps du Christ, la pierre sur laquelle elle est construite est le Christ, chef de lEglise, nous lavons vu, et tout fidèle confessant, membre de ce corps, reçoit le pouvoir de remettre les péchés, pouvoir quil exerce de droit uni à lévêque (In Joh. tract. 50, 12, etc.).
Ne prolongeons pas davantage les citations; elles ne feraient que confirmer les données que nous avons relevées.15
Conclusion
La conclusion est assez simple à tirer. Ce nest quavec lenteur et hésitation que le «Tu es Petrus» a été appliqué à la primauté romaine et encore cette interprétation na-t-elle pendant longtemps été présentée que par les chefs de lEglise de Rome. Nous navons aucune preuve que, en dehors deux, jusquau seuil du Moyen-Age, cette exégèse proromaine ait été, non seulement soutenue, mais même prise au sérieux. Lopinion générale, unanime dans son ignorance de ce que sera la doctrine romaine, peut se résumer, malgré les nuances quelle comporte, en trois points:
Pierre a été sans conteste le
prince des apôtres, et, de son vivant, a réalisé en tous
points les promesses que Jésus-Christ lui avait faites pour gouverner
lEglise et y exercer le pouvoir de lier et de délier les âmes.
Il est évident que le pouvoir des clés, remis à saint Pierre,
na point disparu après sa mort, car la question du pardon des péchés,
accordé ou refusé aux pécheurs, dans lEglise, est
de celles qui ne peuvent cesser de se poser; il faut une réponse dans
un sens ou dans un autre; il ny a pas dEglise où ne s'exerce
le pouvoir de délivrer le pardon des péchés.
Ce pouvoir de régler la pénitence chrétienne, et, dune
manière plus générale, dexercer la discipline, revient,
après lâge apostolique, à lEglise dans son ensemble.
Cest alors que les nuances apparaissent. Que ce droit soit entre les mains
des hommes spirituels de lEglise, ou entre celles des évêques,
en tant que chefs légitimement choisis dans l'Eglise, il existe un pouvoir
des clés qui sexerce pour le salut des âmes.
Personne na mis en doute, et ceci dès les temps les plus anciens , lautorité particulière de lEglise de Rome au milieu des autres Eglises; cette autorité repose principalement sur le fait que cette Eglise avait été fondée par Pierre, qui y avait été mis à mort et inhumé; une pareille tradition pèse dun poids énorme dans la piété de lEglise ancienne; il existait donc une primauté de fait en faveur du siège romain, il est impossible de le contester. Mais reconnaître une supériorité dhonneur à une Eglise locale, lui accorder pour cela les marques du plus grand respect, ne signifie pas que lon puisse parler dune doctrine relative à la primauté de droit de cette Eglise; il ne peut y avoir doctrine, dans l'Eglise chrétienne, que sil existe une justification scripturaire à lopinion exprimée. Or, précisément, pendant toute lantiquité, il ny eut point dautre doctrine reconnue généralement comme reposant sur les Ecritures que celle-ci : Toutes les Eglises locales et tous les chrétiens sont égaux en droit pour disposer du pouvoir des clés, c'est-à-dire égaux en droit pour gouverner lEglise universelle.
Ainsi, lorsque le concile du Vatican expose ce dogme (4 session, 18 juillet 1870, ch. 2): Pierre
«jusquà ce temps et toujours, vit, préside et exerce lautorité dans ses successeurs les évêques au Siège romain»,
et lorsque plus récemment les événements qui ont accompagné à Rome le couronnement du nouveau pape ont fait éclater à nos yeux la place première que tient dans la piété catholique le primat romain, convient-il de protester au nom de lHistoire et de proclamer que, à part lopinion exprimée par certains des pontifes romains, lEglise des premiers siècles a refusé une semblable prétention comme ne saccordant ni avec la promesse faite à Pierre dans le «Tu es Petrus », ni avec lEcriture dans son ensemble.
M. Lods
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1) Le grand savant quétait HARNACK a si bien vu limportance du mot omnis que, désirant sauvegarder linterprétation romaine quil préférait, il na pas hésité à proposer une correction de texte et à lire romanam au lieu de omnem, Le problème se trouve évidemment simplifié, mais quel aveu dans cette manière de traiter le texte !
2) Cette interprétation du Petri propinquam est en accord avec ce que Tertullien dit plus loin ( 10) : il insiste sur le mot toi : «Cest sur toi, dit Jésus à Pierre, que je batirai mon Eglise, et à toi que je donnerai les clés, non à lEglise». (Super te, inquit, aedifficabo ecdesiam meam et dabo tibi claves non ecclesiae). On peut penser que Tertullien cite ici, en le réfutant, Calliste qui devait donc dire le contraire, en gros ceci : Pierre à qui les clés sont remises, cest lEglise, à savoir lEglise tout entière et non une Eglise particulière.
3) Telle est la conclusion à laquelle parvient K. Heussi, Die Nachfolge des Petrus, dans Deutsches Pfarrerblatt, 1949, p. 420 ss.
4) Dautres citations de Cyprien peuvent être avancées, par exemple Ep. 33, 1, 1 (qui est de la même époque que le De unitate) de la parole de Jésus à Pierre «découle, à travers la série des temps et des successions, la consécration des évêques et lorganisation de lEglise, car lEglise repose sur les évêques» (ecclesia super episcopos constituatur). Donc la pierre du Tu es Petrus est lensemble des évêques sur qui lEglise continue à sédifier. Voir encore Ep. 73, 7, 1 (256/7) : «Cest à Pierre dabord, sur qui il a bâti son Eglise et en qui Il la établie et montré lorigine de lunité, que le Seigneur a conféré le privilège de voir délier ce quil aurait délié sur la terre. Par là, nous comprenons que cest seulement à ceux qui sont les chefs dans lEglise et dont lautorité repose sur la loi évangélique et l'institution du Seigneur, quil est permis de baptiser et de remettre les péchés.»
5) Voir Firmilien de Césarée de Cappadoce : «Cest à Pierre seul que le Christ a dit Ce que tu auras lié sur la terre... Donc le pouvoir de remettre les péchés a été donné aux apôtres, aux Eglises quont établies ces envoyés du Christ, et aux évêques qui ont été ordonnés pour être leurs successeurs» (Potestas ergo peccatorum remittendum apostolis data est et ecclesiis quas illi a Christo missi constituerunt et episropis qui eis ordinatione vicaria successerunt) (dans Cyprien, Ep. 75, 16, 1).
Est à citer également le Ps. Cyprien, Ado. alealoribus (éd. Hartel, p. 93) lauteur serait, selon MONCEAUX, qui est assez généralement suivi, un évêque africain, disciple de Cyprien, en tout cas un évêque, de lavis unanime ; celui-ci reconnaît quil a reçu de Dieu «le siège qui tient la place du Seigneur (picariam Domini sedem)» , et poursuit «Lorigine de lauthentique apostolat, sur lequel le Christ a fondé lEglise, nous la portons dans la personne de notre. aîné (= Pierre) (et originem authentici apostolatus super quem Christus fundavit ecclesiam in superiore nostro portamus).» Ainsi tout évêque est successeur de Pierre et reçoit les privilèges qui lui avaient dabord été accordés.
6) Beatus Petrua in accepta fortitudine petrae perseverans, suscepta ecclesiae gubernacula non reliquit... Qui non pleniua et potentius ea quae sibi commissa sunt peragi (Sermo 3, 3).
7) Soliditas enim illa quam de Petra Christo etiam ipse Petra factus accepit, in suos quoque se transfudit haeredes (Sermo 5, 4).
8) Hane confessionem portae inferi non tenebunt... Propter quod dicitur beatissimo Petro : Tibi dabo claves regni caelorum... Transivit quidem etiam in alios apostolos jus potestatis istius et ad omnes ecclesiae principes decreti hujus constituo commeavit (Sermo 4, 3).
9) Le manque de précision est sensible encore chez dautres papes de la même époque, comme Boniface, qui croit à la primauté de son siège, mais qui écrit, dun autre côté : «Linstitution de lEglise universelle naissante a reçu, de lhonneur accordé au bienheureux Pierre, son principe et sa totalité. Cest de la discipline ecclésiastique de (Pierre) que, à travers toutes les Eglises, tandis que saccroît la culture de la religion, Il. a coulé de source (Institutio universalis nascentis ecclesiae de beati Petri sumpsit honore, in quo regimen ejus et summa consistit. Ex hujus enim ecclesiastica disciplina per omnes ecclesias, religionis jam crescente cultura, fonte manavit).» (Ep. aux évêques de Thessalle, 422). Donc, de même quau temps de lEglise naissante, Pierre a été à la hase de lEglise «universelle», de même maintenant la même source qui vient directement de Pierre alimente «toutes les Eglises».
10) Sermo in Pentecosten (PG 52, 803-8). Cest aussi, nous lavons mentionné ci-dessus, une des opinions exprimées par Léon 1er lui-même : «Les portes de lenfer ne prévaudront point contre cette confessions» (Sermo 4, 3).
11) Voir ci-dessous ; cf. Cyrille dAlex. PG 72, 424 : Jésus-Christ a dit lui-même que «cest sur lui quest lEglise».
12) Nous ne méconnaissons pas linterprétation souvent soutenue, daprès laquelle la pierre nest autre que lapôtre Pierre lui-même, daprès ce que suggère le sens littéral ; cf. ci-dessus Justin Martyr ; Tertullien, De praescr. haer. 22. 4 : «Pierre est dit la pierre de lEglise à édifier» (Petrum aedificandae ecclesiae petram dictum) ; De monog. 8 : « LEglise qui est édifiée sur lui (Pierre)» (ecclesiam quae super illum aedificata) ; De pud. 21, 10 : « Cest sur toi (super te) que je bâtirai mon Eglise» , est-il dit à Pierre ; id. 21, 11 : LEglise a été fondée in ipso et per ipsum ; Cyprien, Ep. 59, 7, 3 : « Pierre, sur qui (super quem) lEglise avait été bâtie par le Christ» , ; id. 71, 3, 1 ; 73, 7, 1 ; Ambroise fait allusion à notre péricope en appelant Pierre petra ecclesiae (Hymne 1 ; cf. Exam. 5, 24, 88 et Augustin Retract. 1, 21,1) ; Pseudo Clément, Hom. Clém. 17, 19 (éd. Lagarde, p. 167, 1. 36) : « la pierre solide que je suis» (stéréan pétran onta mé), dit Pierre à Simon ; et Ep. Clément à Jacques 1 (éd. Lagarde, p. 6, 1. 9) : Pierre est le « fondement de lEglise» (tés ecclésias thémélios). Mais ces auteurs ne vont pas plus loin et ne tirent pas de lexégèse quils adoptent un argument en faveur dune doctrine sur les successeurs de Pierre.
13) Sermo 76, 1. 3 : 295, I (De natale Petri et Pauli) ; Guelf. XVI, 1 ; Ep. 53, 1 ; In Joh. tract. 124, 5 ; Enar. in Psalm. 108, 1 ; Retract. 1, 21, 1. Lopinion du docteur sur la petra est fondée sur le rapproche-ment avec la pierre de 1 Cor. 10 : 4 (petra autem erat Christus). Ce nest que fort rarement quil traduit : Sur cette pierre (que tu es, toi, Pierre), cf. Retract. 1, 21, 1.
14) Cf. Othmar PERLER Le De unitate de saint Cyprien interprété par saint Augustin, dans . Augustinus Magister, 1954, p. 852-3.
15) Par exemple lAmbrosiaster ne vise pas lévêque de Rome, mais tous les évêques de lEglise catholique, quand il mentionne «lordre, commencé par lapôtre Pierre et conservé jusquà maintenant, par la transmission des évêques successifs (nam et ordinem ab apostolo Petro coeptum et usque ad bac tempus per traductum succedentium episcoporum servatum » (Quaest. 110, 7). Les Pères de lEglise grecque peuvent être cités aussi ; ils sont aussi éloignés que possible de toute tentative dinterpréter le «Tu es Petrus» dans le sens dun privilège accordé à Rome. Ni Chrysostome, ni Cyrille dAlexandrie, en particulier, ne mettent en doute que la promesse faite à Pierre ne puisse pas sappliquer uniquement à lEglise dans son ensemble.
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