JOURNALISTES EN ACTION

Une question de crédibilité

Nous nous devons de faire un constat : nous ne pouvons pas reprendre toutes les erreurs des journalistes sur le sujet des sectes faites par absence de culture religieuse.

SOMMAIRE DE CETTE PAGE D'INFORMATION : le nouvel observateur

1/ Aider les journalistes à s'informer sur le phénomène religieux avec l'AJIR.

2/ Les difficultés et les erreurs manifestent  du Nouvel Observateur :

    a/ lien avec les textes du Nouvel Observateur

    b/ 6 erreurs ( c'est un minimum)

    c/ La cerise sur le gâteau et Actualités

3/ Réaction d'un journaliste.

4/ Analyse rapide et sommaire.

5/ Stupéfaction unanime de l'ensemble du protestantisme français.

6/ Un peu d'humour

7/ Une véritable information sur les protestants-évangéliques

Aussi deux aspects nous semblent importants, le premier le fait de prouver cette absence de culture religieuse pour pointer objectivement la difficulté et le deuxième orienter les journalistes dans le besoin vers leurs confrères plus compétents. Nous leur conseillons donc de se mettre en contact avec l'A.J.I.R., Association professionnelle des journalistes de l'information religieuse : http://mapage.noos.fr/nseneze/ajir/plan.htm

Maintenant nous allons évaluer uniquement la connaissance sur le fond d'un article qui démontre cette absence de culture religieuse de cette branche professionnelle. Ce type de manque met en évidence une difficulté parmi d'autres : la crédibilité.

Le premier texte choisi est :

N°2051
Semaine du 26/02/2004 au 04/03/2004

http://pages.globetrotter.net/mleblank/msd/sauver-le-monde.html#1-

Ce texte est exemplaire pour illustrer notre propos sur le manque de culture religieuse des journalistes.

Le cadre : dès la première phrase l'auteur nous donne le ton du dossier en offrant à notre compréhension l'espace géographique de son investigation journalistique : la planète entière en mettant en avant les 500 millions d'"évangéliques".

1ère Erreur

C'est la première fois à notre connaissance en France que les Fédérations protestantes sont stigmatisées de "sectes" dans le monde entier. Les évangéliques appartiennent et cela de manière inérhente au protestantisme mondial. Nous vous conseillons la lecture d'une intervention publique, reprise sur ce site, du président de la Fédération Protestant de France : http://sectes.chez.tiscali.fr/pourquoi_protestant.htm

2ème Erreur

La terre d'élection des évangéliques n'est pas seulement l'Amérique (ici l'Amérique du Nord), les observateurs s'accordent pour dire que cette mouvance décroît aux U.S.A alors qu'elle est en croissance dans le monde entier comme le souligne l'auteur. Se serait comme essayer de faire croire qu'en France 80% des français sont de droite car ils ont voté pour M. Chirac à la dernière élection présidentielle.

3 ème Erreur

Les Eglises Baptistes et Méthodistes nommées par l'auteur comme des églises protestantes dites traditionnelles sont des Eglises Evangéliques. Voir le texte de M. Fath en dessous sur cette page.

4ème Erreur

Comparer Washington à une Mecque évangélique c'est méconnaître cette culture protestante basée sur un principe d'autonomie fort, à ne pas confondre avec le mot indépendance voir l'engagement de pasteurs contre une hiérarchie abusive.

5 ème Erreur

Dans la même lignée que l'erreur 4 voir le bras de la CIA derrière ces églises est délirant. Cela ne veut pas dire que la CIA n'a pas essayé. J'ai eu la chance de faire mes études théologiques avec un pasteur camerounais, celui-ci m'a raconté qu'une personne a essayé de passer des armes avec la mention professionnelle "pasteur" sur son passeport. Que les services secrets du monde entier utilisent tous les moyens pour arriver à leurs fins est une évidence connu de tous. Faire l'amalgame entre évangélique et CIA c'est impressionnant.

6ème Erreur

Bientôt l'Arabie Saoudite et la Chine seront considérés comme les terres promises des droits de l'homme. Plus sérieusement comparer la France à ces pays en matière de liberté religieuse c'est absolument abusif. En même temps utiliser ce même procédé abusif pour le retourner contre les évangéliques américains : l'abus est réciproque. En s'informant un peu, dans ces pays cités ci-dessus des personnes ont été tuées ou emprisonnées pour leurs croyances par les gouvernements : cela reste inacceptable. Si ces abus sont dénoncées par une instance américaine, tant mieux, j'aimerais bien que les journalistes soit plus présents sur ce registre.

La cerise sur le gâteau :

Le Maghreb n’échappe pas non plus au zèle évangélique. Environ 150 missionnaires «travaillent» au Maroc, selon un responsable de l’archevêché catholique de Rabat. En Algérie, le mouvement est encore plus visible: des Églises néo-protestantes ont déjà pignon sur rue. Des pasteurs étrangers, français, égyptiens ou jordaniens se rendent souvent en visite pastorale, surtout en Grande Kabylie. Au grand dam de la presse locale, qui s’étonne non seulement d’une telle liberté de mouvement mais aussi de l’impunité dont jouissent les convertis auprès des islamistes, aux yeux de qui ils sont pourtant des apostats passibles, selon la charia, de la peine de mort.

- Nous restons sans voix -

Suite a cette phrase nous souhaitons dénoncer de tels abus

REACTION D'UN JOURNALISTE

http://religion.info/french/documents/article_22.shtml

ANALYSE RAPIDE ET SOMMAIRE SELON LA GRILLE "UN COMPLEXE DE TECHNIQUES MANIPULATOIRES"

1/ L'AMALGAME AFFECTIF ET COGNITIF : Le portrait de Georges W. Bush associé avec le mot "Evangéliques" nous semble être une tentative pour susciter un apriori négatif.

2/ LE RECOURS A LA PEUR : ce premier amalgame (et il en y en d'autres ...) transfert la "bonne image" de G.W. Bush sur la mouvance évangélique mondiale (voir le premier article de M. Z). Cet amalgame agirait comme un signal d'alarme suscitant à son tour la méfiance, la crainte, sur la base de la peur de l'étranger. Ici ce n'est plus" l'Arabe" qui est l'étranger mais "l'Américain".

3/ RECADRAGE ABUSIF : En s'appuyant sur ces amalgames et le recours à la peur, le premier pas de la tentative manipulatoire est amorcée. On essaye de poser un cadre de compréhension qui ne se discute pas : la mouvance Evangélique est mauvaise. La suite : la répétition .... cela s'appelle aujourd'hui de l'information.

L'ENSEMBLE DU PROTESTANTISME FRANCAIS C'EST UNANIMEMENT OPPOSE A CETTE TRISTE ET INFONDEE MANIERE DE LES APPREHENDER

Les protestants protestent

LES PROTESTANTS NE PEUVENT QUE RESTER VIGILANT DEVANT LES DIFFICULTES DE CERTAINS JOURNALISTES A APPREHENDER LE PHENOMENE RELIGIEUX ET LA DERIVE SECTAIRE

UN PEU D'HUMOUR


John Edwards, coéquipier de Kerry et candidat à la vice-présidence, s'adresse aux fidèles d'une communauté baptiste de Canton, en Caroline du Nord (source de l'illustration: Kerry-Edwards 2004, Inc. from Dave Scull).

UN ADVERSAIRE DE G. W. BUSH PREND LA PAROLE DANS UNE EGLISE EVANGELIQUE. VOUS VOUS SOUVENEZ, CETTE SECTE QUI VEUT CONQUERIR LE MONDE (AVEC M. BUSH).

JOHN EDWARDS N'A PAS LE DROIT D'ALLER A L'ENCONTRE DES THESES DU NOUVEL OBSERVATEUR EN S'AFFICHANT PUBLIQUEMENT DANS UNE EGLISE EVANGELIQUE : C'EST HONTEUX.

Nous voulons maintenant vous offrir une véritable information au sujet des protestants-évangéliques.

« Approches de la sociologie religieuse » 

Les "évangéliques"

Définition et mise en perspective

 

"L'étonnant succès des Eglises évangéliques".

C'est ainsi que le quotidien La Croix a titré, le jeudi 6 mars 2003, la double page qu'elle a consacrée aux Eglises évangéliques en France. Claire Lesegretain[1], qui signe l'article principal, souligne ceci : "avec près de 1800 lieux de culte et quelque 350.000 membres en France, le courant évangélique ne cesse de progresser depuis une trentaine d'années". On souligne son caractère populaire, moralement conservateur, leur accent sur le choix personnel et la modestie de la formation dispensée à la plupart des pasteurs. Parmi les acteurs interrogés, on trouve Jean-François Serre[2], fils du philosophe Michel Serre, qui s'est converti et a rejoint les Eglises baptistes, où il travaille dans une cité difficile de région parisienne (Bobigny). Il déclare : "le plus grand scandale n'est pas le manque de formation pastorale mais le peu de chrétiens qui viennent vivre avec les pauvres !".

 L'aperçu donné du mouvement évangélique par le journal La Croix est naturellement loin d'être exhaustif. Mais il a le mérite de pointer quelques traits forts du protestantisme évangélique aujourd'hui : c'est un christianisme de conversion en expansion, ancré dans les milieux populaires, qui suscite l'étonnement dans une société française par ailleurs largement sécularisée.

 Pour cerner brièvement les contours de cette culture religieuse spécifique, sous l'angle du rapport à la société et des enjeux sectaires, voici deux étapes : il convient tout d'abord de proposer une présentation générale du mouvement, puis d'examiner successivement, dans un second temps, les atouts sociaux et les faiblesses des protestants évangéliques face aux dérives sectaires.

 

1. Présentation générale

 Les "évangéliques" sont des chrétiens, rattachés au protestantisme. Ils représenteraient, dans le monde, environ 200 millions d'individus. Si l'on compte les pentecôtistes, on arrive alors à une statistique comprise entre 400 et 500 millions d'individus (on n'est pas à 100 millions près), ce qui est énorme. Près d'un Guatémaltèque sur trois est aujourd'hui évangélique (généralement de tendance pentecôtiste). Plus d'un Américain sur quatre est "évangélique". En Russie, les "évangéliques" constituent la principale mouvance religieuse, loin derrière l'Orthodoxie et devant le catholicisme. En France, les "évangéliques" pèsent aujourd'hui un tiers du protestantisme (au moins) soit 350.000 personnes. Ils constituaient moins de 100 000 personnes en 1950. Bien intégrés dans la société, qu'ils influencent par leur engagement [3] , ils se réclament d'un "christianisme de conversion" militant. Répartis dans une multitude de dénominations, associations, groupes, Églises, voire "sectes", les "évangéliques" sont très divers. Quels critères retenir pour les définir ?

 

1. 1. Définition

 On peut retenir quatre critères commodes qui, combinés entre-eux, permettent presque à coup sûr de définir un protestant évangélique. Ils sont empruntés à l'historien britannique David Bebbington [4] , mais beaucoup de spécialistes les reprennent, en les reformulant à leur manière. Les voici brièvement définis

 

Biblicisme

Rôle central de la Bible, dans la perspective du Sola Scriptura protestant. La Bible est lue comme "Parole de Dieu", avec peu de médiations critiques. Elle est considérée normative à la fois sur le plan théologique et pratique (ascèse quotidienne) ce qui n'empêche pas une grande variété d'interprétations.

 

Conversion

Tout chrétien est appelé à se "convertir", c'est-à-dire faire l'expérience d'un changement profond de vie suite à son adhésion religieuse. La conversion est supposée induire une reconfiguration du quotidien individuel, marqué par de nouvelles valeurs (rôle de l'espérance), une nouvelle ascèse (renoncement à la drogue, à l'alcoolisme, à la sexualité hors mariage).

 

Crucicentrisme

La Croix est un thème majeur de prédication, mais aussi un élément pivot de la doctrine des évangéliques. Elle renvoie selon eux au lieu où Jésus-Christ, Fils de Dieu, est mort pour les péchés du monde avant de ressusciter.

 

Militantisme

Les "évangéliques" valorisent beaucoup l'idée d'engagement, souvent dans le cadre d'Églises dites de "professants", c'est-à-dire où l'on entre en tant que membre après (et après seulement) profession publique de sa foi. L'orthodoxie doit s'accompagner d'une orthopraxie la foi doit "se voir", "faire envie", au coeur de la société.

 

Il est à noter que ces critères se retrouvent, à des degrés divers, dans toutes les traditions chrétiennes (on en reconnait (sic) également certains dans d'autres religions). Les protestants évangéliques ont cependant la particularité de les combiner systématiquement. Par exemple, une Eglise évangélique ne saurait renoncer à la mise en avant du militantisme, du témoignage intramondain de chaque membre. De la même manière, la conversion apparaît, dans tous les milieux évangéliques, comme la clef de voûte du système, qui permet d'identifier les "insiders" et les "outsiders". On pourrait ajouter un cinquième critère, celui de la "régulation par le bas". Les Eglises évangéliques sont peu institutionnalisées, elles répugnent à la centralisation. Elles mettent en valeur la fraternité élective, sur des modes généralement démocratiques (élection du pasteur par les fidèles).

 

1. 2. Situation historique

Les racines des protestants évangéliques se retrouvent dès le début du protestantisme, au XVIe siècle, particulièrement dans deux courants

 

La Réforme dite "radicale", qui revendique la séparation des Églises et de l'État et plaide pour des assemblées autonomes composées de convertis;

 

Le "non-conformisme" anglais, qui conteste la synthèse anglicane d'Église d'État et souhaite aller plus loin dans le calvinisme.

 

 A noter que le baptisme, qui aujourd'hui apporte des dizaines de millions de fidèles aux contingents évangéliques, est né à la jointure de ces deux traditions, à partir de 1608, dans les Provinces-Unies.

Si ces deux courants protestants du XVIe siècle peuvent être clairement identifiés comme à la racine d'un certain nombre de traits "typiques" des évangéliques, on ne saurait pour autant tracer une filiation directe, génétique.

 

En revanche, du XVIle au XXe siècle, trois étapes ont plus directement contribué à l'affirmation de ce qu'on appelle aujourd'hui le protestantisme évangélique :

Le mouvement des "réveils", redynamisation militante du protestantisme, du XVIIe au XIXe siècle. A l'intérieur de ces vagues de "réveils", on peut distinguer en particulier le piétisme allemand (XVIIe-XVIIle siècles) et le méthodisme anglo-saxon (XVIIle-XIXe siècles).

L'émergence du pentecôtisme et du fondamentalisme protestant au début du XXe siècle. Ces deux courants reprochent au protestantisme, soit un déficit d'expérience (pentecôtisme), soit un déficit d'orthodoxie doctrinale (fondamentalisme).

La visibilité institutionnelle des "évangéliques", à partir de 1942-43 : en réaction au maximalisme jugé outrancier des fondamentalistes, les "évangéliques" créent de multiples organisations propres, institutions, réseaux). Exemple : l'Alliance Evangélique Universelle (World Evanvetical Fellowship).

 

1. 3. Situation en France

 Le protestantisme évangélique est aujourd'hui très visible en France, toutes choses égales par ailleurs. Dans la plupart des municipalités françaises, il y a aujourd'hui davantage de communautés de type évangélique que de communautés de type réformées ou luthériennes, qui représentent le protestantisme anciennement concordataire. Beaucoup d'élus locaux, d'acteurs sociaux composent et travaillent avec ces groupes, sans toujours connaître leur histoire. Cette présence évangélique remonte dans certains cas au début du XIXe siècle. On peut distinguer quatre étapes d'implantation.

 

Un courant balbutiant (1802-1849)

Quelques centaines de protestants "non-concordataires" s'organisent. Les principaux sont les baptistes et les méthodistes, qui apparaissent à partir de 1810-1820. Plusieurs sociétés bibliques et sociétés d'évangélisation sont constituées durant cette période (Société Évangélique fondée en 1833). Leurs effets sont surtout sensibles dans la période suivante.

 

Un essor dans la dispersion (1849-1921)

De quelques centaines, les "évangéliques" passent à quelques milliers, mais leur influence déborde largement de leurs rangs puisqu'une large moitié de l'ensemble réformé revendique alors l'étiquette "évangélique". La République, qui fait tomber les discriminations, favorise leur développement.

 Apparition des "Églises libres" -depuis 1849-, des assemblées de frères, des premiers pentecôtistes, de l'Armée du Salut. Durant cette période, les évangéliques recueillent les fruits de leur adaptation aux nouvelles conditions sociales (promotion de l'association, du mode démocratique) et de leurs organisations missionnaires.

 

Une phase de structuration et de visibilité accrue (1921-1965)

D'un après-guerre à l'autre, on observe la création de multiples organisations évangéliques en France, tandis que l'évangélisation continue à faire croître les effectifs, qui dépassent les 100.000 en 1965. Dans le contexte de la "fin de la civilisation paroissiale"[5], les évangéliques développent leurs propres modes de socialisation religieuse, basés sur l'association volontaire et le réseau.

On peut mentionner, en particulier, la création de l'Institut biblique de Nogent (1921), puis, après 1945, la relance de 1a section française de l'Alliance évangélique (AEF).

Dans le même esprit de "mise en réseau", est créé le Centre Évangélique d'Information et d'Action (CEIA) en juillet 1948. Fondé à partir d'une réunion de 21 personnalités issues du protestantisme évangélique, il a eu pour but, dès sa création, de faire connaître, par un bulletin et des rencontres annuelles, la nébuleuse évangélique, d'abord pour les protestants évangéliques eux-mêmes, et ensuite, pour les gens de l'extérieur. Après des démarrages timides, le CEIA s'affirma progressivement, à partir des années 1950, comme un lieu de rencontre obligé pour les évangéliques, un pôle de ralliement densifiant une mouvance jusque là passablement émiettée. Michel Evan[6] souligne à juste titre qu'il s'agit sans doute du « seul lieu où les dirigeants évangéliques peuvent se rencontrer en toute indépendance ».

 Ce cadre servit de matrice, quelques années plus tard, à la création en bonne et due forme, les 19 et 20 mars 1957 à Orthez, d'une Association d'Églises de Professants [7] , promise à un développement régulier.

Plus tard encore, la Fédération Evangélique de France, créée en 1969, poursuit ce processus de mise en réseau des milieux évangéliques.

 

Une crédibilité élargie (1965-...)

En parallèle à ce mouvement de structuration, on observe, à partir des années 1960, une évolution dans le statut et le rôle des évangéliques sur la scène religieuse française.

La création de la Faculté Libre de Théologie Evangélique de Vaux-sur-Seine, en mai 1965 (puis celle d'Aix-en-Provence en 1974), a permis aux évangéliques de se doter d'une crédibilité élargie dans le dernier tiers du XXe siècle. Les autres protestants les prennent de plus en plus au sérieux, alors que la croissance "évangélique" ne se ralentit pas, pour atteindre environ 350.000 personnes en 2003. La stratification sociale des milieux évangéliques évolue, avec une proportion plus significative des classes moyennes et supérieures. Quand Billy Graham occupe Bercy, en 1986, le président du comité d'honneur qui l'accueille n'est autre que l'universitaire Pierre Chaunu, historien en Sorbonne. Tout en restant tributaire d'une approche populaire, voire populiste de la théologie chrétienne, le protestantisme évangélique s'ouvre aussi davantage, durant cette période, sur les débats intellectuels du temps. A titre d'exemple de manifestation concrète de ce souci, on peut citer les cinq colloques organisés par cette Faculté entre 1997 et 2001 : colloque des 25 et 26 avril 1997 sur le thème : "Regard sur la spiritualité évangélique" (avec notamment Jean Séguy), colloque des 27 et 28 mars 1998 sur le thème "Laïcités. Enjeux théologiques et pratiques" (avec notamment Jean Baubérot); les thèmes suivants sont, le 26 et 27 mars 1999, "Le dialogue interreligieux" (avec notamment Jean-François Zorn), l'éthique du bonheur" (25 et 26 mars 2000 avec notamment Paul Ricoeur)[8], et "Catholiques et évangéliques en

dialogue" (23 et 24 mars 2001, avec Bernard Sesbouë). Cette nouvelle crédibilité s'inscrit dans un contexte plus large où la société française et son paysage religieux connaissent des mutations très profondes. Les évangéliques sont marqués, comme les autres, par ces évolutions, générant des stratégies d'adaptation parfois très différentes d'un groupe à l'autre. Loin de constituer un "bloc" homogène, le protestantisme évangélique, durant cette période, apparat d'une diversité persistante, tiraillé en particulier entre un pôle pentecôtiste-charismatique et un pôle

piétiste-orthodoxe. La dimension d'ecclésiogénèse qu'on observe dans ces milieux rend également toujours problématique la quête de crédibilité affichée par certains leaders : tandis que certains groupes, comme les méthodistes, les libristes ou les baptistes accèdent effectivement à une position plus centrale au sein du protestantisme, d'autres groupes, nés plus récemment, se situentrésolument à la périphérie du champ protestant, volontiers hostiles, ou indifférents aux modes de régulation collective mis en place par leurs "grands frères"[9].

 

2. Evangéliques et débat sectaire

 Du point de vue de la question des sectes, le protestantisme évangélique n'apparaît pas au premier plan du débat. Cependant, en tant que chrétiens militants, les "évangéliques" sont, potentiellement, concernés par de possibles dérives sectaires. Tout groupe qui demande un engagement militant important (qu'il soit religieux, philosophique, politique...) peut se prêter à des dérives. C'est bien le cas des "évangéliques". Pour situer le débat, quelques précautions doivent d'abord être prises. Après les avoir examinées, on passera successivement en revue les atouts sociaux des évangéliques face aux sectes, puis leurs terrains de fragilité.

 

2. 1. Pièges à éviter dans la réflexion

 

• L'affiliation (ou non) à la Fédération Protestante de France n'est pas, en soi, un signe de sectarisme. Pour des raisons doctrinales, tel ou tel groupe peut refuser d'adhérer à la FPF sans pour autant "flirter" avec un profil de type "Scientologie" ! Attention à ne pas faire d'une affiliation institutionnelle un critère de sectarisme. Ceci n'a rien d'une précaution oratoire : nombre de documents montrent qu'il existe

aujourd'hui, en France, une véritable pression politique et médiatique à l'affiliation à la FPF, comme si cette-dernière constituait, en soit, un label automatique d'honorabilité. Ce type de raisonnement apparaît en contradiction avec l'esprit et la lettre de la séparation des Eglises et de l'État et brouille la réflexion plus qu'il ne la facilite.

 

• L'évangélisation (dans le respect des libertés) n'est pas signe non plus de sectarisme. Tout comme le militantisme politique ou syndical (pour gagner des nouveaux adhérents), l'évangélisation a, en principe, droit à s'exprimer en République. Il se trouve que les protestants évangéliques mettent tout particulièrement l'accent sur la mise en avant, par chaque individu, de l'offre de salut en Jésus-Christ. Cette dynamique n'a jamais été culturellement très acceptée en France, en raison de l'histoire majoritairement catholique de ce pays, peu ouverte à une présence protestante active et missionnaire. Mais ces traits culturels, parfois teintés d'une intolérance dont les protestants, par le passé, ont fait les frais, n'ont pas vocation à valider automatiquement une rumeur sectaire.

 

• La spiritualité évangélique est volontiers démonstrative. Elle a toujours dépaysé des personnes "extérieures" (y compris des catholiques) par certains de ses traits (prières spontanées, parfois simultanées, gestes pendant le culte, etc.). Les courants pentecôtistes et charismatiques mettent particulièrement l'accent sur l'extériorisation de la piété, dotée de caractères cathartiques qui peuvent se traduire parfois par des cris, des convulsions, des pertes d'équilibres (le fidèle tombe par terre). Ce caractère intense (assez proche d'une veine mystique), mais moins désordonné qu'il en a l'air (les anthropologues y lisent une codification qui doit peu au hasard) n'implique pas, en soi, des attitudes sectaires. Même si cela peut choquer le chaland (ou tel militant anti-secte), une "femme de chirurgien" convertie a le droit de se rouler par terre lors d'une réunion de louange, tout comme une femme de ménage antillaise, sans qu'on crie aussitôt à la secte[10].

 

Sur ces terrains, on a pu constater ces dernières années des dérapages de la part de tels ou tels acteurs sociaux ou politiques : pour des raisons culturelles, les citoyens français ne sont pas (ou plus) habitués à une expression intense et convaincue de la religion, surtout si celle-ci n'est pas d'expression catholique. Le caractère peu institutionnalisé des évangéliques déroute aussi, dans un contexte français marqué par le centralisme jacobin. L'absence d'une institution centrale qui regrouperait et validerait les groupes évangéliques irrite parfois les acteurs sociaux. Enfin, rappelons cette dernière précaution : aucune situation "sectaire" ne doit être réifiée (d'où la fécondité de la notion de "dérive sectaire", qui implique l'idée d'un processus). Une assemblée évangélique peut être sectaire en 1995 et ne plus l'être dix ans plus tard, et inversement. Ces différents éléments doivent nous inviter à prohiber les jugements hâtifs, qui peuvent conduire à des accusations infondées.

Après ces précautions préalables, examinons maintenant les atouts sociaux des protestants évangéliques face aux dérives sectaires.

 

2. 2. Atouts sociaux des groupes évangéliques face aux dérives sectaires

 Les atouts sociaux des groupes protestants évangéliques face aux dérives sectaires se repèrent principalement dans leurs modes de régulation, fondées sur le contrôle par le bas et le choix individuel.

 

• CHOIX INDIVIDUEL. Dans la ligne de la tradition protestante à laquelle ils se rattachent, les "évangéliques" placent très haut la notion de choix individuel, et refusent viscéralement les logiques d'embrigadement. Cette culture du choix individuel place a priori les évangéliques à grande distance des profils de "secte ou gourou". En France comme, d'ailleurs, en Angleterre ou aux Etats-Unis, les Évangéliques ont toujours lutté contre la monarchie ou les régimes autoritaires et pour la démocratie (et la République). Détail révélateur : le premier Résistant français protestant à mourir fusillé par les Nazis est un "évangélique", le morlaisien André Guéziec (de confession baptiste), fusillé le 12 mai 1941 à Quimper. C'est aussi, entre autres, au nom du respect du choix individuel que diverses organisations évangéliques luttent elles-mêmes contre les "sectes" (exemple de Vigie-Sectes dirigée  par Gérard Dagon).

 

• MODE DÉMOCRATIQUE. Plus que les autres protestants, les "évangéliques" ont généralement favorisé un type d'Église où l'assemblée locale fonctionne de manière autonome (ce qu'on appelle le "congrégationalisme' et démocratique. Ceci signifie que le pasteur est élu par les membres, et toutes les décisions sont soumises au vote des fidèles (hommes et femmes). Cette culture démocratique précoce et vivace, chez les évangéliques, constitue un excellent "barrage culturel" à des dérives de domination "par le haut" d'un leader sectaire. Il n'est pas rare qu'un pasteur soit obligé de quitter une assemblée, suite à l'évaluation défavorable dont il fait l'objet de la part des fidèles. Sur ce terrain de la démocratie, les "évangéliques" se distinguent nettement de la culture institutionnelle catholique, qui en dépit d'évolutions majeures au plan des communautés de base, reste dans son principe une culture monarchique, verticale. Ils s'opposent aussi frontalement à des groupes du type des Témoins de Jéhovah, par exemple (avec lesquels ont les confond parfois). Autant le système jéhoviste est extrêmement centralisé et pyramidal (tout émane de la société de la Tour de garde, basée aux Etats-Unis), autant la culture évangélique est fondée sur le débat, la diversité, le "contrôle par le bas".

 

Ces modes de régulation constituent sans doute les principaux gardes-fous opposés par les évangéliques aux dérives sectaires. On pourrait ajouter, à un moindre degré, un troisième mode, celui des organisations supra-locales (du type Alliance Evangélique, Fédération Evangélique de France ou Fédération Protestante de France). Même si ces modes supra-locaux sont loin de l'efficacité démontrée depuis longtemps par l'Église catholique en la matière, ils contribuent néanmoins, par le simple jeu de l'information, voire de la rumeur, à identifier et isoler, quand il le faut, tel ou tel comportement jugé sectaire.

 

2.3. Terrains de faiblesse face aux dérives sectaires

 Si les Évangéliques paraissent, d'un certain côté, bien armés contre les dérives sectaires, ils présentent cependant aussi des faiblesses. La dérive de l'autorité charismatique et la dérive insulaire constituent les deux principales.

 

• LA DÉRIVE DE L'AUTORITÉ CHARISMATIQUE : en terme de dérives sectaires, le pouvoir charismatique est à certains égards plus dangereux que l'orientation fondamentaliste (contrairement à ce que l'on pourrait croire). Dans l'optique fondamentaliste, c'est la doctrine qui domine : le pasteur-prédicateur lui-même est soumis au respect de la doctrine, ce qui veut dire que les fidèles ont une marge de manoeuvre. Dans l'optique d'une très forte accentuation charismatique, c'est le pasteur-guérisseur qui peut en venir, dans des cas extrême, à devenir la référence suprême (au lieu de la doctrine). Dans ce scénario, la voix de Dieu s'identifie avec celle pasteur, laissant les fidèles sans beaucoup de recours. On peut alors en arriver à se rapprocher du profil du "gourou" tel que les médias l'ont popularisé (leader absolu qui domine sur ses fidèles). Le protestantisme évangélique, par son accent sur la doctrine (et la décision démocratique), est en principe bien outillé pour résister à cette dérive. La grande majorité des Églises qui se définissent comme "charismatiques" maintiennent la prédominance de la doctrine sur le leader. Mais dans des cas limites, la digue peut céder, et c'est le pasteur qui devient leader absolu, avec tous les risques que cela peut comporter. On peut faire l'hypothèse que parmi les plaintes adressées à des associations comme l'UNADFI au sujet de tel ou tel groupe pentecôtiste, nombre de motifs d'inquiétude se rattachent à cette dérive. Dans ce schéma "limite" du pasteur-gourou, du charisme-roi, on peut remarquer que l'on sort de la définition socio-historique du protestantisme évangélique (et même du protestantisme, voire du christianisme tout court).

 

• LA DÉRIVE INSULAIRE : Si l'affiliation à la F.P.F. ne peut en aucun cas constituer un critère de non-sectarisme, il est en revanche important de discerner si telle ou telle assemblée évangélique entretient des liens avec l'extérieur (autorités locales, voisinage, autres Églises). La culture d'autonomie des assemblées évangéliques peut parfois conduire à une dérive isolationniste qui, poussée à l'extrême, va couper les ponts avec la société. C'est en général très rare, car les évangéliques recherchent l'interaction avec l'extérieur, mais cela peut se produire.

Dans ce cas, des logiques de surenchère ascétique peuvent être initiées (on ne lit plus les journaux, on ne regarde plus la télévision...), parfois mâtinées d'un discours apocalyptique ou ultra-pessimiste sur le monde.

Ce terreau peut alors générer des comportements sectaires au sens courant du terme. Il semble que l'Institut Théologique de Nîmes, pointé dans le rapport parlementaire de 1996, relève en partie de ce profil étroitement replié sur lui-même, à l'écart de l'ensemble des réseaux évangéliques français construits depuis les années 1920, cet institut s'est signalé par un déphasage considérable avec son milieu, doublé d'une propension à une lecture victimisante de sa situation (pourtant davantage imputable à son isolement voulu qu'à son identité religieuse). II semble que certaines évolutions récentes atténuent ces traits. Affaire à suivre...

 

L'exemple le plus tragique où ces deux dérives (leader charismatique, logique insulaire) se sont rencontrées pour le pire est celui, bien connu, des Davidiens (affaire de WACO, Texas, en 1993). Au stade où ils étaient arrivés, les Davidiens n'étaient plus "évangéliques" (au sens donné au début de cette étude), mais c'est bien à partir d'un terreau culturel évangélique qu'ils ont évolué (de la même manière que c'est à partir d'un terreau culturel catholique qu'a évolué tragiquement la secte de la restauration des 10 commandements de Dieu, en Ouganda - massacre de mars 2000-). Dans la plupart des cas de "dérive", cependant, les choses ne vont pas si loin que dans le cas du ranch de Waco...

 

Pour conclure, on peut dire que les protestants évangéliques représentent une culture religieuse militante a priori très bien intégrée dans une culture républicaine comme celle de la France. A bien des égards, leurs assemblées peuvent même constituer des sas d'intégration à la société française d'une efficacité qu'aucune autre structure n'approche, comme le suggère l'excellente thèse de doctorat récemment achevée par Jean-Claude Girondin à propos des Eglises évangéliques antillaises[11]. Mais comme tous les groupes religieux, ces milieux présentent néanmoins des fragilités spécifiques : elles peuvent "à la marge" conduire à des dérives sectaires ponctuelles. Une observation citoyenne attentive, documentée, sensible aux pièges à éviter (risques d'amalgame ou de généralisation - qui fait le jeu des sectes dangereuses-) paraît largement de nature de traiter efficacement les quelques cas "à surveiller".

Sébastien Fath Chercheur CNRS Groupe de sociologie de la religion et de la laïcité.


 

[1] Claire Lesegretain, "L'étonnant succès des Eglises évangéliques", La Croix, jeudi 6 mars 2003, p.14.

[2] Jean-François Serre, cité par Claire Lesegretain, "L'étonnant succès des Églises évangéliques", La Croix, jeudi 6 mars 2003, p.15.

[3] Martin-Luther King, Billy, Jimmy Carter, George W. Bush aux États-Unis, affichent ou ont affiché l'étiquette évangélique.

[4] David W. Bebbington, Evangelicalism ire Modem Britain : A History from the 1730s to the 1980s , London, Unwin Hyman, 1989, pp.2-17.

 

[5] Cf. Danièle Hervieu-Léger et Françoise Champion, « La fin de la civilisation paroissiale",Vers un nouveau christianisme ? Introduction à la sociologie du christianisme occidental, Paris, Seuil, 1986, pp.55-60.

[6] Michel Evan, Jacques Blocher, J'ai cru et j'ai parlé. Nogent-sur-Marne, éditions de l'Institut Biblique, 1989, p.65.

 

[7] Sur une initiative conjointe de Jacques Blocher et des Églises Évangéliques Libres: on retrouve un axe "baptistes-libristes" qui fonctionna en bien d'autres circonstances.

[8] Données tirées des prospectus d'information de la FLTE sur les colloques.

[9] Pour un récent état des lieux sur l'historiographie des Églises évangéliques en France depuis le XIXe siècle, voir Sébastien Fath, "Réveil et petites Églises'', numéro spécial de bilan historiographique Bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme Français, oct.-déc., pp.1101-1122: cette étude propose plus d'une centaine de références bibliographiques.

[10] Cet exemple renvoie à un échange avec un militant anti-secte du CCMM en 2002, qui mentionna cette anecdote pour appuyer ses soupçons. Evidemment, c'est l'attitude de la "femme de chirurgien" qui lui posa problème...

 

[11] Cf. Jean-Claude Girondin, "Religion, ethnicité et intégration parmi les protestants évangéliques en région parisienne : la dynamique interculturelle d'un protestantisme aux prises avec la créolité". Paris, Ecole Pratique des Hautes Etudes, décembre 2003. Pour l'auteur, les Églises évangéliques antillaises permettent, pour les membres, "leur adaptation à la société d'accueil à travers leur groupe d'appartenance comme un sas ` "être bien quelque part pour être bien partout". (... ) Dans un pays comme la France, qui privilégie les parcours individuels d'intégration dans le cadre de la laïcité, ces communautés sont des pôles, ces "lieux intermédiaires, où peuvent se négocier le passage de la culture du pays d'origine à celle du pays d'accueil". Face à l'anonymat des quartiers et à la crise du lien social, ces communautés sont des lieux intermédiaires de convivialité et de reconnaissance des personnes" (pp. 74-75).