DERIVES PSY OU LE DESIR DE TOUTE PUISSANCE

1/ TOTEM ET TABOU : La fable et non le mythe Freudien

2/ L'AVENIR D'UNE ILLUSION : L'illusion n'est pas là où l'on croit

La fable et non le mythe Freudien

Quelles que soient les études psy que vous ferez vous serez mis devant le "mythe freudien" du meurtre du père (Totem et tabou, Petite Bibliothèque Payot, France, 1965). Ne pas s'y arrêter uniquement quelques instants serait dommageable à l'ensemble de la compréhension du travail de cet homme.

Pourquoi prendre ce temps sur le mythe freudien ? Nous savons tous que Freud et la religion sont incompatibles (en apparence).

Nous rappelons que la première étape de la captation sectaire est la conversion pour le psychiatre Jean-Marie Abgral ( l'Etat face aux dérives sectairesActes du colloques du 25 novembre 1999, Edité par François Bellanger, 2000, p.98, voir aussi le www.psyvig.org).

Aujourd'hui nous réagissons au fait que certains veulent mettre dans la loi les postulats freudien au travers de certaines associations capables de juger si telle personne est psychothérapeute ou pas.

Aussi par ironie il nous a semblé pertinent d'évaluer par la raison si les fondements du travail de M. Freud tiennent la route.

FREUD, Sigmund, Totem et tabou, Petite Bibliothèque Payot, France, 1965.
chap.4 : le retour infantile du totémisme, p.153-241


I/ Survol biographique de l'auteur.

Il est né le 6 mai 1856 à Freyberg en Moravie, d'une famille juive. Il effectue ses études médicales à la faculté de Vienne et entreprend des recherches sur le système nerveux. C'est à cette époque qu'il expérimente les effets de la cocaïne sur les maladies nerveuses. Il en publiera le rapport en 1884.

Mais la rencontre capitale de sa vie c'est celle du docteur Breuer, qui l'amène à s'intéresser au cas de Anna O., atteinte d'hystérie et traitée alors par les thérapeutiques à la mode, et notamment l'hypnose. C'est ce qui l'amène à Paris, à l'hôpital de la Salpêtrière, où il travaille avec Charcot. Pratiquant d'abord lui-même l'hypnose sur ses patientes, S. Freud lui substitue bientôt la libre association verbale.

Il découvre que les hystériques souffrent surtout d'oubli et que la réminiscence les guérit. La guérison met en jeu des forces psychiques qui se recomposent dans le dialogue avec le médecin.

C'est de là que naîtra la psychanalyse : révélation de l'inconscient, instance où le psychisme maintient des contenus refoulés. Ensuite sa seconde découverte porte sur le rôle de la sexualité dans l'étiologie des névroses et, en particulier, de la sexualité infantile ; il en élabore une théorie détaillée dans ses Trois Essais sur la théorie de la sexualité. Cette investigation le mène au complexe d'Oedipe et à l'étude des perversions.

En 1900, c'est la parution de l'ouvrage l'interprétation des rêves. A partir de là Freud devient un chef d'école, il subira une réprobation unanime de la part des milieux médicaux et verra en parallèle la formation d'un groupe de disciples fidèles. Ce groupe va se développer, se structurer. En 1902, c'est la formation de la Société Psychologique du Mercredi. En 1908, celle de la Société Psychanalytique de Vienne. En 1910, celle de l'association Psychanalytique Internationale.

Entre temps auront lieu les ruptures avec Adler et Jung. Sa théorie va se développer, S.Freud est un homme de vaste connaissance personnelle, en l'appliquant aussi aux domaines de la culture et de la religion. En 1938, il est contraint, face au nazisme, de fuir en Angleterre. Il meurt le 23 septembre 1939 à Londres d'un cancer de la mâchoire.

II/ Raisons du choix de l'ouvrage.


La première raison, qui m'a poussé à choisir ce livre de Freud et surtout ce chapitre 4 de "Totem et tabou", c'est la curiosité. En effet, en quelques heures de cours sur le fondateur de la psychanalyse, son "mythe scientifique" est revenu plusieurs fois dans le contenu de l'enseignement. Celui-ci fut présenté comme un fondement de la psychanalyse. Mon désir de remonter à la source du grand fleuve de la psychanalyse ne fît que croître. La motivation implicite de ce choix trouve sa raison d'être dans le fait que c'est en étudiant les fondements des diverses théories que l'on reconnaît leur valeur.


Ensuite, une autre raison m'a poussé à cette lecture. Celle d'un intérêt personnel pour l'étude des religions. N'ayant pas eu l'occasion ou pris le temps de lire les pensées de S. Freud sur la manière dont il les perçoit, me voila heureux de pouvoir remédier à cette lacune même partiellement.

III/ Synthèse.


Dans ce chapitre 4 S.Freud nous présente son "mythe scientifique". Il s'approprie le passage de la horde primitive tel que le présente C. Darwin et l'associe à la société totémique décrite par Frazer et émet l'hypothèse de leur origine dans la révolte des fils privés de toute vie sexuelle par un père qui se réservait toutes les femmes.

Le repas totémique décrit par Robertson Smith devient la forme religieuse primitive où s'exprime à la fois la joie et le remord du crime. Freud nous présente son hypothèse, comme un événement vraisemblable, point de rencontre entre l'histoire (le fait du repas totémique), la théorie darwinienne (l'état primitif de la société), la psychanalyse (conception du totem), entraînant une nouvelle compréhension de la société, de la religion, de la morale.

Comment s'y prend-t-il ? Freud s'appuie sur le repas totémique pendant lequel l'animal totémique est absorbé. L'auteur nous révèle que, selon la psychanalyse, l'animal sacrifié sert de substitut au père, l'attitude ambivalente qui précède et suit ce "meurtre" collectif est caractéristique du complexe paternel chez les enfants et les névrosés.

M. Freud remonte le temps jusqu'à l'hypothèse d'un événement primordial qui a lieu dans la horde primitive : c'est le meurtre du père qui se réservait toutes les femmes, raison pour laquelle les fils ont mis en actes leur complot. Le "fait meurtrier" engendre le sentiment de culpabilité dont lui-même est la source des "deux tabous (sic) fondamentaux du totémisme ... qui ... devaient se confondre avec les deux désirs réprimés du complexe d'Oedipe" . Suite à cet acte, l'auteur affirme que "La société repose désormais sur une faute commune, sur un crime commis en commun ; la religion, sur le sentiment de culpabilité et sur le repentir; la morale, sur les nécessités de cette société, d'une part, sur le besoin d'expiation engendré par le sentiment de culpabilité, d'autre part." .

Ensuite S.Freud nous invite à le suivre au travers du développement des religions s'appuyant sur les thèmes du sacrifice totémique et de l'attitude du fils à l'égard du père. L'auteur cite R. Smith pour qui le repas totémique trouve son prolongement dans le sacrifice ainsi que son sens (la sanctification). La psychanalyse inclue doublement l'image du père dans le sacrifice primitif : comme dieu et comme animal de sacrifice. Loin d'être une allégorie, cette double présence permet l'expression de l'amour du père, racine de toute formation religieuse, lui rendant ainsi hommage.

Plus tard, par l'institutionnalisation de la religion, le père sacrifié agissant comme dieu opère une vengeance posthume en exigeant et en ordonnant le sacrifice et ainsi soumettant de nouveau les fils. S. Freud est en train de nous dire que le "premier grand acte de sacrifice s'est montré indestructible, et cela malgré tous les efforts faits pour l'effacer de la mémoire" ainsi que les sentiments ambivalents du fils à l'égard du père qui ne disparaîtront jamais.

Après avoir regardé la religion chrétienne, l'auteur cherche et trouve dans la tragédie grecque les mêmes symptômes : le héros doit souffrir car il est chargé de la "faute tragique". S'il doit souffrir c'est qu'il est le père primitif et qu'il doit prendre sur lui cette faute pour délivrer. Ainsi l'auteur voit dans le complexe d'Oedipe (l'interdit de l'inceste et du fait de tuer) la naissance de l'humanité et rapporte les "problèmes relatifs à la vie psychique des peuples ... à un seul point concret : celui de l'attitude à l'égard du père?"

IV/ Analyse.

Loin de moi la prétention de croiser le fer avec un des plus grands esprits de ce siècle ou ne serait-ce que d'essayer de dialoguer avec ce "maître" car je suis certainement ni digne ni capable de prétendre à un tel honneur. Pour un non initié à la psychanalyse il est difficile de saisir l'ensemble de la richesse exposée dans ces quelques pages. Nous essayerons pourtant tant bien que mal de promener notre regard sur cet écrit comme un amateur peut le faire, certainement avec beaucoup de maladresse.

L'auteur nous prend par la main et nous montre les nombreuses possibilités spéculatives qu'offre la science concernant l'interprétation du totémisme et de l'exogamie. Tout cela pour nous permettre de comprendre sa pensée "rien n'est sûr donc voilà mon choix". Comme le peintre sur sa palette, l'auteur mélange ses couleurs pour obtenir la teinte qu'il désire. Cela se pense sur le mode du "vraisemblable" car il se sert de matériaux scientifiques. Il ne peut y avoir de preuve comme nous l'a affirmé, S. Freud mais alors il ne reste que le possible ou la forte présomption mais est-ce suffisant ? Oui car il faut avancer, seule la religion offre la certitude absolue et donc la "vérité".

Nous ne sommes pas dans le cadre du dogme! mais de la science, alors risquons nous à laisser une petite place au doute.

Pourquoi le fait d'avoir tuer le père serait-il vécu comme coupable ? Il n'y a pas de raison puisque c'est un mythe et le mythe est dépourvu de consistance, de réel. Comment un mythe irréel peut-il produire une réalité comme le sentiment de culpabilité ?

Ce sentiment est pourtant bien là, vécu par l'humanité ; la société, la religion, la morale existent et lui font écho. Faudrait-il comprendre "le meurtre du père" comme un fait historique ? Faudrait-il comprendre que le postulat "d'une âme collective" transmettrait, de manière effective le produit du "crime", dans chaque génération à chaque individu le sentiment de culpabilité ?

Il ne peut y avoir de remords vécu que s'il y a faute commise, du moins la première fois.

Notre compréhension de la pensée de l'auteur nous amène à affirmer l'historicité de l'événement, dans le cadre relatif à la science. Choc et étonnement s'entremêlent, une première réaction nous pousse, dans cette analyse, au scepticisme : c'est du ressort de la science-fiction !

Est-ce notre incompétence ou notre incompréhension, aussi bien les deux à la fois, qui constatent que l'auteur met la science au service de la métaphysique. Freud trébuche sur la pierre qu'il dénonce en donnant un environnement hypothétique non vérifiable, même vraisemblable, à sa "science" : la psychanalyse. La religion appelle cela la foi : "Or la foi, c'est l'assurance des choses qu'on espère, la démonstration de celles qu'on ne voit pas".

L'auteur pose et propose un cadre métaphysique qui donne son sens à sa science, du moins si ce "fait meurtrier" en est un des fondements. A travers cette "histoire scientifique" S. Freud n'est-il pas en train de chercher à la psychanalyse sa raison d'être ?

V/ Les impressions personnelles

Serait-il déplacé, à la suite de l'auteur, de transformer un autre passage de la Bible ? "Car un enfant nous est né, une fille nous est donnée..." . Un faire-part de naissance, avec Totem et tabou, est envoyé par S. Freud à l'humanité. Ironie ou humour, où est la frontière ?

Il n'empêche que l'auteur avec sa citation modifiée de l'Evangile de Jean "Au commencement était l'action." se référant explicitement à la première phrase de la génése "Au commencement Dieu créa ...", désire au mieux le dialogue avec la religion Judéo-chrétienne.

Prétendre le lui offrir serait placer la barre un peu trop haut car il faudrait être, au moins et à la fois, psychanalyste et théologien. N'étant ni l'un ni l'autre je ne pourrais pas m'engager sur cette voie en tant que spécialiste.

Que nous reste-t-il alors ? Une lecture naïve du "mythe" Freudien et Judéo-chrétien , et au lieu de les placer l'un contre l'autre nous allons les mettre l'un à coté de l'autre.

L'analogie est intéressante à faire et semble pertinente, les deux récits sont bâtis sur une conception historique (les faits rapportés se sont réellement passés), ils ont en commun chacun un "péché originel"(le meurtre du père et l'interdiction de manger du fruit défendu est transgressée), cette faute est la source de tous les maux de l'humanité (le sentiment de culpabilité et la séparation d'avec la présence de Dieu). Ces constructions schématiques parallèles ne concernent dans un premier temps que le fonctionnement psychique de l'humanité pour déborder évidemment sur tous les aspects de la vie. Si bien que tout peut être interprété à la lumière révélatrice de la science psychanalytique : la société, la religion, la morale. Nous n'allons pas oser prétendre (juste par ironie) que S. Freud fonde sa propre religion, nous dirons plutôt qu'il a crée une nouvelle vision du monde (terme laïque pour religion), incontournable de nos jours.

Il est évident que cette position, ce choix personnel d'une compréhension voire d'une interprétation du sens de Totem et tabou permet un autre regard sur la psychanalyse. Je dois avouer ma grande surprise quant à l'aboutissement de ma réflexion. Je ne m'attendais pas à donner cette orientation à ma compréhension de ce texte mais les surprises font aussi parties de la vie intellectuelle.

 

Ensuite la critique historique du mythe Freudien par "Occultisme, sorcellerie et modes culturelles", Mircea Eliade, ed. Gallimard, 1978, p. 14-16 a achevé la pertinence du cadre "théorique" de la psychanalise à nos yeux.

Ex : "En vain les ethnologues de son temps ( M. Freud), de Rivers et Boas, Malinowski et Schimt montrèrent l'absurdité de ce "premier repas totémique""

Conclusion

Maintenant que nous savons avec l'apport de la plume de M. Mircea Eliade que la théorie du mythe freudien est non-scientifique, comment comprendre la survivance de cette fable en tant que "mythe scientifique" ?

Le symbolisme de la faute, de la culpabilité et de l'expiation exprimé par "totem et tabou" est trop proche de la symbolique hébraïque et chrétienne pour que l'on ne puisse pas y voir son origine, voire une copie.

L'enseignement d'une telle théorie avec ce que nous savons aujourd'hui nous semble être un essai de sacralisation de la psychanalyse originelle pour survivre à l'examen de la raison.

Nous conseillons les lectures de :

1/ M. Paul Ricoeur, De l'interprétation essai sur Freud, ed. Seuil, 1965, pp. 529

2/ Mme Marie Balmary, son travail sur le complexe d'Oedipe est fort intéressant dans "L'Homme aux statues, freud et la faute cachée du père", ed Grasset, 1979, pp. 293.

Mais aussi "Le sacrifice interdit, Freud et la Bible", ed. Grasset, 1986, pp. 287.

3/ M. Michel Baron, la cité utopique, ed. La cause, 1998, pp. 334

L'Avenir d'une illusion :

L'illusion n'est pas là où l'on croit

FICHE DE LECTURE

FREUD, Sigmund, L'Avenir d'une illusion, Quadrige / P.U.F., 1re édition, France, Paris, 1995, mai.

II/ Raison du choix de l'ouvrage.

" L'Avenir d'une illusion " s'inscrit dans la suite chronologique, après " Totem et Tabou ", de mes lectures sur les essais freudiens concernant la Culture. Les religions faisant partie de celle-ci et étant un de mes intérêts intellectuel, je souhaitais écouter ce que le père de la psychanalyse avait à m'apprendre.

III/ Synthèse.

L'auteur nous dit son intérêt pour la culture humaine qu'il définit comme un dépassement de la condition animale de l'homme et des bêtes qui l'entourent. Pour cela l'homo-sapiens a dû amasser du savoir, du savoir-faire et créer des systèmes pour organiser ses relations humaines. Cette culture devient alors ennemie de l'individu car elle oblige aux sacrifices pour permettre une vie en commun. Lorsque la culture a suffisamment dominé la nature et l'homme, pour continuer d'exister, l'auteur nous parle de son élan vers "l'animique". Celui-ci a pour but "de diminuer le fardeau des sacrifices pulsionnels imposés aux hommes, à (sic) réconcilier ceux-ci avec les sacrifices qui restent nécessaires et à les en dédommager" (p.8). Comment la culture s'y prend-elle ?
 

S. Freud nous propose d'éclairer son action de survie en nous montrant qu'elle fonctionne comme un Surmoi. La Culture imbibe peu à peu en chacun de ses membres des moyens de contrainte qu'elle a créé afin de se perpétuer. Les fonds idéaux font partie de ces biens animiques qui déterminent la culture. S. Freud affecte la religion à ces fonds idéaux. Elle est venue comme alliée de la culture contre la nature toujours indomptable.

La culture, dans cette lutte, "impose un lot de privations" (p.16) et elle s'en défend en permettant à la religion, son alliée, d'humaniser la nature afin d'apaiser et de désangoisser l'homme. Ainsi la peur de l'inconnu fait place alors a un soulagement. Donc on peut maintenant comprendre et réagir face aux forces de la nature. Mais l'humanité ne s'arrête pas là, de ces forces elle "en fait des dieux" (p.18) car l'homme désire une protection pour palier son impuissance.

Au fil du temps, l'intervention du domaine religieux dans la culture a pris tellement de place qu'il se dévalorise par ses propres incohérences. Si bien même que l'auteur met en doute les impératifs les mieux fondés du religieux. Alors Freud nous dit que les représentations religieuses "sont des dogmes, énoncés sur des faits ... qui revendiquent qu'on leur accordent croyance" (p.25). Ceux-ci tournés sur eux-mêmes ne peuvent pas être crédibles car ils refusent tout examen critique.

Ces dogmes aussi sont des illusions dans le sens ou elles répondent aux désirs de l'homme : paix, justice, éternité. Elles prennent leur force dans ces souhaits pour en faciliter l'adhésion et leur efficacité. Ensuite Freud compare l'évolution de l'humanité à la croissance physique de l'homme. L'enfant passe par une névrose avant d'arriver au stade d'adulte et donc en parallèle "la religion serait la névrose de contrainte de l'humanité ... issue du complexe d'Oedipe, de la relation au père" (p.44).

Les dogmes vidés de leurs contenus ne sont que des leurres faisant obstacle à l'intellect. Donc la religion, ce refoulement névrotique, devrait être remplacée par le fruit du labeur raisonnable de l'esprit afin que l'humanité puisse croître et aller vers son âge adulte.

IV/ Analyse.

L'auteur nous prend par la main et nous entraîne dans un débat foi/raison. Tout cela pour nous permettre de comprendre sa pensée "la psychanalyse mène au déni de dieu et de l'idéal moral". Comme le peintre sur sa palette, l'auteur mélange ses couleurs pour obtenir la teinte qu'il désire. Cette image utilisée pour totem et tabou me semble encore tout à fait à propos ici.
Par contre maintenant cela se pense sur le mode de la "critique" car M. Freud se sert de matériaux raisonnables. Et c'est cette même critique qui exaspère la raison car en son nom S. Freud assigne le religieux dans la sphère du leurre. Mais Il ne peut y avoir de preuve de cette existence divine alors que nous reste-t-il ? Uniquement le possible ou la forte présomption, mais est-ce suffisant ? Non.

Comme nous ne sommes toujours pas dans le cadre du dogme mais de la science, laissons encore une petite place au doute. Pourquoi est-ce que M. Freud refuse-t-il à l'homme la possibilité de désirer le religieux ? Uniquement parce que la religion répond aux souhaits des hommes, est-ce suffisant ? Ces souhaits sont-il légitimes pour l'humanité ? Ces désirs sont-ils innés ou acquis ?

S. Freud plaide à l'évidence pour l'acquis, mais quelle preuve nous en apporte-t-il ? Sa preuve c'est son "mythe scientifique", en faisant valoir le meurtre du père comme un fait historique dans Totem et Tabou. S. Freud trébuche de nouveau sur la même pierre en donnant comme base " Totem et Tabou " à " l'Avenir d'une Illusion ". M. Freud maintien et réaffirme son environnement hypothétique non vérifiable à sa science : la psychanalyse.

La religion appelle cela la foi : "Or la foi, c'est l'assurance des choses qu'on espère, la démonstration de celles qu'on ne voit pas" (NT, He. 11:1). L'auteur pose et propose un cadre métaphysique qui donne son sens à sa science, du moins si ce "meurtre du père" en est un des fondements.

Pourquoi faire ce léger détour par Totem et tabou ? Simplement pour nous permettre de mieux comprendre le raisonnement de l'auteur et en même temps mettre en lumière que la religion et la psychanalyse fonctionnent toutes les deux sur des postulats admis et improuvables : l'existence de Dieu et le meurtre du père. Donc la Raison employée pour la critique est alors une épée de Damoclès à double tranchant. En plus comme elles ont la même prétention, soulager la souffrance psychique ou spirituel de l'homme, leur confrontation ne peut être que douloureuse comme nous le démontre S. Freud.

La psychanalyse, en cantonnant le religieux à l'illusion au leurre, interdit le désir religieux. Cette difficulté se présente à nous par la compréhension de "la genèse psychique des représentations religieuses" (p.30) qu'en a l'auteur. En effet Freud définit le souhait religieux comme indésirable raisonnablement puisque les dogmes sont des illusions. Alors la psychanalyse porte en elle le "déni de Dieu et de l'idéal moral" (p.37) et n'y mène pas comme le prétend l'auteur. M. Freud par ses propos condamne la religion à mort : la mort est sa sentence.
 

Avec cet élément objectif la psychanalyse ne peut plus, de fait, revendiquer être un "instrument impartial" (p.37) comme méthode de recherche. Donc le simple fait de classifier les personnes dans des catégories comme névrose obsessionnelle, délire mystique, porte en soi un jugement de valeur dont la psychanalyse est la référence unique et partiale. Pour se croire objective la psychanalyse nous fait tous entrer dans son référentiel. C'est ce que nous appellerons une objectivation de l'après coup.
 

V/ Les impressions personnelles

Serait-il déplacé de citer un passage de la Bible, donnant raison à S. Freud, pour ouvrir le débat ? "Pourquoi ... vous laissez-vous imposez des règles du genre : ne prend pas ceci, ne mange pas cela, ne touche pas à cela !... Voila bien des commandements et des enseignements purement humains ... les prescriptions de ce genre ... n'ont aucune valeur pour maîtriser les passions de la nature humaine" Ce texte religieux dénonce la religion qui prend le sens de ritualisme. Là, Freud et La Bible sont en accord. Etrange : aujourd'hui "les rituels" sont à la mode au travers du mécanisme de la répétition pour donner du sens (douce illusion ?).
 

Ainsi ce que l'auteur dénonce est une aubaine car cela arme la foi pour lutter contre "M. Rituel" qui empêche la conviction personnelle. Et celle-ci peut toucher divers domaines. Ainsi en luttant contre le ritualisme (le pouvoir en l'acte lui-même) la foi n'est pas sacramentelle. Elle est sacrement au sens étymologique (engagement). Elle peut être ainsi considérée comme " raisonnable" ce qui n'enlève rien a son caractère propre. Ainsi la dénégation freudienne est en route sur le chemin de la projection agressive.

Ici, je remercie S. Freud car il m'a permis de retirer une écharde de ma raison, tout en confirmant l'existence de cette " foi raisonnable ". Cette écharde était le fait que les hommes aient accepté raisonnablement l'affirmation "tu ne tueras pas" sous prétexte qu'elle permet un bien pour eux : la vie social. Notre culture française fonde philosophiquement cette vie sociale sur un contrat social rationnel par l'intermédiaire de M. J-J. Rousseau.

J'avoue que je n'arrivais pas à admettre cette solution comme allant de soi sans trouver une issue pour en sortir. Jusqu'au moment ou l'auteur lui-même me donne une solution partielle à cette impossibilité : "La présentation que nous en faisons correspondrait-elle à la vérité historique ? Nous craignons que non, elle semble n'être qu'une construction rationaliste" (p.43). Le contrat social raisonnable qui unit les individus les uns aux autres pour le bien de tous est bien un leurre : "une construction rationaliste".

Il est pourtant important de souligner que ce leurre fait office d'évidence dans les différents cours que j'ai suivi, contre l'avis de M. Freud lui-même. Au fil du temps, on aurait presque l'impression que cette manière de comprendre " l'interdit du meurtre " se serait transformé, si j'ose le dire, en dogme.

La raison invoquée pour laquelle S. Freud ne peut avoir confiance en cette explication est que "les motifs rationnels sont, chez l'homme d'aujourd'hui encore, de peu de poids face aux impulsions passionnelles ; combien plus impuissants encore doivent-ils avoir été chez cet homme-animal des temps originaires!" (p.43). L'auteur fait place à "un autrement" où le religieux se trouve fondamentalement impliqué. S. Freud s'empresse de le récupérer car pour justifier ce religieux il fait intervenir son affirmation hypothétique : le meurtre du père, source du totémisme et celui-ci du religieux. Au vue de notre interprétation de "totem et tabou" nous tournons en rond avec l'avenir d'une illusion. Est ce que la psychanalyse agit de même avec les gens ?

Caché sous le faux débat raison / foi, nous avons en réalité en débat de fond celui d'une interprétation contre une autre, une vision du monde contre une autre, du moins sur cet essai psychanalytique freudien sur la culture et le religieux. Ainsi le fait religieux ne peut être une bouteille vide, se serait déraisonnable, la vie sociale par son existence le prouve.

Alors une autre affirmation hypothétique vient frapper à la porte de "L'avenir d'une illusion" pour offrir aussi son postulat invérifiable : et si Dieu existait vraiment ? Ces deux hypothèses semblent être en accord pour dire que la capacité civilisatrice de la croyance existe tout simplement alors que celle de la raison est, au début de l'humanité, inopérante. Je n'ose pas en tirer de conclusion.

Jean-Louis Martinez